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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 septembre [1844], jeudi après-midi, 3 h. ¾

Tu veux que je te rende les gribouillis que je te dois, mon cher bien-aimé ? Je le veux bien quoique je n’en voie pas l’utilité car toutes les feuilles de papier de l’univers et toute l’encre du monde ne suffiraient pas pour te dire la moitié de l’amour que j’ai pour toi. Ainsi, mieux vaudrait ne pas essayer une chose impossible quand on est sûr d’avance de ne pas réussir.
Je viens d’envoyer chez [M. Al [1]  ?]. Claire vient de partir chez son père. Je suis seule chez moi et sans avoir encore eu le temps de me débarbouiller et de me peigner car c’était aujourd’hui le jour du frotteur. Du reste, j’ai un mal de tête hideux qui tient probablement à l’état orageux du ciel. Voilà, mon cher petit bien-aimé, où j’en suis. Ça n’est pas très drôle comme tu vois, ni très nouveau. J’oubliais de te dire que j’avais écrit à Mme Luthereau pour la remercier de sa lettre qui était vraiment sentie. Depuis tantôt, j’écris, si on peut appeler écrire les hideux margouillis que je dépose à la queue leu leu sur le papier. Décidément le genre épistolaire ne me convient pas. J’aimerais mieux le genre cent mille livres de rente, une calèche et un Toto sur la route d’Italie  : voilà ma vocation bien décidée. Il m’est impossible d’en avoir une autre, je le sens maintenant d’une manière irrésistible. Je suis fâchée si cela vous contrarie, mais je ne saurais en changer.
Mon cher adoré, je ris tristement car je pense que mon bonheur est déjà fini : il n’a pas duré longtemps, hélas ! pas assez pour la longue année qui vient de s’écouler si tristement. Aussi, mon cher adoré, j’ai plus envie de pleurer que de rire et je voudrais me cacher dans un coin pour te regretter à mon aise. Tu vois bien mon doux aimé que je ferais mieux de ne pas t’écrire quand je suis comme cela parce que je ne trouve rien que des plaintes et des tristesses à te dire, ce qui n’est rien moins qu’aimable. Cependant, je t’aime. Ô, oui, je t’aime, mon Victor, tu peux en être bien sûr mon adoré !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 127-128
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette


5 septembre [1844], jeudi après-midi, 4 h. ¼

Je t’aime, mon Victor adoré, je veux te le dire sans cesse, non pour t’en convaincre, ce qui n’est pas une chose à faire maintenant, Dieu merci, mais pour me faire trouver le temps moins long et moins insupportable loin de toi. Si tu pouvais savoir, mon Toto, combien la vie sans toi a peu d’intérêt et peu de charme pour moi, tu ne me laisserais pas tous les jours te désirer et t’attendre vingt-trois heures trois quarts sur vingt-quatre, comme je le fais depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. Ce n’est pas un reproche que je te fais, mon Victor bien aimé, bien loin de là, c’est la vérité irrésistible qui s’échappe malgré moi de mon pauvre cœur.
D’ailleurs, mon cher ange, cette vie, si monotone et si triste qu’elle soit, je ne la changerais pas contre tous les plaisirs de l’univers qui ne seraienta pas le bonheur d’être avec toi toujours. J’ai donc tort de me plaindre. Mais ce ne sont pas non plus des plaintes qui expriment le mécontentement, c’est quelque chose de doux, de tendre et de triste qui est l’amour. L’amour seul, sans son Toto, c’est-à-dire sans la joie et le bonheur. Je ne veux pas que tu croies que je grogne parce que cela n’est pas vrai, mais je veux que tu saches bien que sans toi je ne puis pas être heureuse.
Tu es sans doute à l’Académie à présent, mon bon petit Toto ? Je désire que tu y trouves M. V. et que tu réussissesb à lui faire donner ce provisorat à notre protégé [2]. Ce sera faire deux heureux d’un coup, et, qui sait, peut-être sauver la vie d’un pauvre petit enfant. Aussi, je suis bien sûre que tu feras tous tes efforts pour cela et je t’en remercie, mon cher adoré, ne pouvant pas t’en aimer davantage. Tâche de venir me voir en sortant de l’Académie, mon Toto, j’ai tant besoin de te voir et de te baiser. Tu sais que je n’aurai pas la douceur de te donner à souper ce soir. Il faut donc tâcher de me dédommager par une petite apparition avant le dîner. Je t’en prie, je t’en supplie, mon Victor chéri ! Si tu ne viens pas, je serai bien triste et bien malheureuse, je le sens déjà trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 129-130
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « serait ».
b) « réussise ».

Notes

[1S’agit-il d’Alboize du Pujol, dont il est souvent question dans les lettres de Juliette à cette période ?

[2A élucider.

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