Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1844 > Août > 14

14 août [1844], mercredi matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon petit Toto bien aimé, bonjour, mon cher amour, bonjour mon cher petit gendarme, comment va ton bon rhume de cerveau ? Il est probable que j’attendrai longtemps de ses nouvelles, si, comme cela est certain, tu assistesa à la distribution des prix du collège aujourd’hui. Il ne faut rien moins que les lauriers de ces petits goistapious pour que je me résigne à mon affreux sort.
Voici des nouvelles toutes chaudes du rez-de-chaussée en question : un salon, une salle à manger, une chambre à coucher, une cuisine, et une soupente pour la domestique, un petit jardin à fleurs et à fruits et huit-cents francs de loyer !!!!!!!!!b
Hélas ! Hélas ! Hélas ! Hélas ! Pourquoi faut-il que nous soyons cloués ici pour six mois ? Sans cela, je t’aurais supplié de me donner ce petit jardin, c’est-à-dire l’air et la santé. Enfin, c’est impossible, n’en parlons plus.
Je voudrais bien te voir, mon cher bien-aimé, cela me mettraitc de la joie dans le cœur pour toute la journée. Je suis déjà triste et découragée par la crainte de ne pas te voir. S’il faut que tu ne viennesd pas avant ce soir, je ne sais pas ce que je deviendrai. Quand ma journée n’est pas coupée par un éclair de bonheur, elle me paraît mortellement longue et affreusement triste. Depuis plus de onze ans c’est comme cela. Je ne peux pas m’habituer à être heureuse sans te voir, ce n’est pas ma faute. Mon Dieu que je voudrais entendre mamzelle Dédé sur le piano ! Mais je crois que j’aimerais encore mieux que sa maîtresse improvisée [1] n’existât pas ou qu’elle eût l’âge heureux de 75 ans. Je n’aime pas à voir les femmes plus jeunes s’introduire chez vous, sous des prétextes variés, mais dans le seul but de vous débaucher. Que cette virtuose d’un nouveau genre y prenne garde car je lui donnerai une sérénade de coups de trique sur le dos et des nocturnes de manche à balai sur les épaules et tout cela outre mesure. Baisez-moi, vous, et soyez-moi fidèle ou je vous tue.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 49-50
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « assiste ».
b) Les point d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.
c) « mettrais ».
d) « vienne ».


14 août [1844], mercredi soir, 6 h. ¼

Je ferais peut-être mieux, mon Toto, de ne pas t’écrire ce gribouillis car je dois t’excéder en te disant toujours la même chose. Malheureusement, je suis de l’école de Richi : je ne sais pas assez écrire pour écrire pour le plaisir d’écrire. Je t’écris parce que je t’aime, parce que tu n’es pas là, parce que je souffre de ton absence et parce qu’il me semble que je me soulage en t’écrivant toutes les tendresses qui me passent par la tête et que je ne peux pas exhalera en caresses et en baisers. Cependant, je sens que, occupé comme tu l’es, cela doit te fatiguer et t’ennuyerb horriblement. Si tu voulais, seulement pendant le temps où tu travailles sérieusement, je ne t’écrirais pas. Cela te reposerait d’autant et je n’aurais pas dans le cœur le remords de te tourmenter et de t’obséder inutilement. Quant à moi, la chose me regarde. J’écrirais pour moi autant de fois que je le voudrais, avec l’immense avantage de ne pas me lire. J’écrirais pour me faire illusion et pour avoir l’occasion et le prétexte de te baiser à toutes les pattes de mouchec qui sortiraient de ma plume. Mais je te le répète, je ne me lirais pasd, supplice auquel tu t’es condamné depuis trop longtemps et que je te supplie de faire cesser.
Tu avais l’air fatigué et impatienté tantôt, mon adoré. Je m’en suis rendue compte parce que tu travailles trop et que tu es trop entouré, trop recherché et trop admiré. Aujourd’hui, entre autres, tu en as fait l’expérience. Je te plains parce qu’en vérité c’est trop de la moitié de toute cette fatigue. J’aurais voulu t’épargner cette dernière en ne t’écrivant pas mais j’ai craint que tu n’interprètes mal ma sollicitude et je me suis risquée. Ai-je bien fait, mon maître ? Quel métier veux-tu être ? Je voudrais être aimée de toi et n’avoir pas d’autre état.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 51-52
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « exaler ».
b) « ennuier ».
c) « mouches ».
d) Les mots sont soulignés un à un et non d’un seul trait comme Juliette le fait la plupart du temps.

Notes

[1Il s’agit probablement de Mme Mennechet.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne