Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1844 > Août > 13

13 août [1844], mardi soir, 9 h. ¼

Je ne t’avais pas encore écrit, mon Toto adoré, quand tu es venu. La visite de la mère Lanvin en a été en partie la cause. La pauvre femme était venue me dire que [la place  ? le plan  ?] de son mari n’avait pas réussi, sans qu’il y ait eu mauvaise volonté de part et d’autre. Du reste, on lui a promis de s’intéresser à lui, ce qui lui a remonté un peu le courage.
Mais ce n’est pas tout cela que je voulais te dire. Je veux te dire que je t’aime, que tu es mon pauvre bien-aimé, doux, généreux et charmant. Je ne te remercie pas, je t’aime. Je ne t’adore pas, je t’aime. Je ne suis pas reconnaissante, je t’aime. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je ne te donnerai pas ma guipure, mais je te donnerai ma vie quand tu voudrais, et même sans que tu le veuilles. Je t’aime.
Comment vont tes pauvres yeux ce soir, mon doux aimé, comment vont-ils ? Je voudrais que tu viennes tout de suite les baigner et les rafraîchira dans ton eau de pavots. En même temps, je te verrais et je serais bien heureuse. Quand tu es auprès de moi, je ne désire plus rien, je suis la plus heureuse et la plus joyeuse des femmes. Quand donc commencerai-je à copier ? Tu m’avais promis que ce serait pour bientôt et je ne vois pas le plus petit morceau de manuscrit reluire à l’horizon. Cependant, mon pauvre petit cheval, tu travailles sans cesse jour et nuit ? J’espère que tu ne donnes pas la préférence à d’autre ? Ce serait une injustice et une méchanceté féroce que de me priver du seul plaisir que je puisse avoir loin de toi. N’est-ce pas que tu ne ferais pas cela ? J’y compte comme sur le bon Dieu et j’attends, sinonb avec patience, du moins avec confiance, le moment où tu pourras me donner cette joie.
Il y a eu aujourd’hui un an jour pour jour que nous sommes rentrés en France, mon cher adoré. J’y ai pensé toute la journée. Je revoyais tous les buissons de la route, le moindre petit incident du voyage. Je sentais comme si je l’avais encore tenue, toutes les étreintes de ta chère petite main adorée. Je pourrais dire, à un million de baisers près, combien je t’en ai donné ce jour là. Hélas ! mon Dieu, pourquoi faut-il que des journées si splendides soient suivies de journées si malheureuses et si désespérées ? [1]
Mon Victor, mon adoré, mon doux et triste bien-aimé, je baise tes yeux pour les rafraîchira, ta bouche pour en aspirer tous les soupirs, ton cœur pour en ôter toute l’amertume et tout le désespoir. Tu es mon pauvre martyr que je vénère, que j’admire et que j’adore. Sois béni et consolé dans tous ceux que tu aimes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 47-48
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « raffraîchir ».
b) « Si non ».
c) « raffraîchir ».

Notes

[1Le voyage en Espagne de l’année précédente s’était achevé par la nouvelle terrible de la mort de Léopoldine.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne