Paris, 21 avril [18]72, dimanche matin, 7 h.
Bonjour, bonjour, bonjour. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Ouf ! j’en suis quitte pour la peur cette fois encore ! Trop heureuse qu’on ait le droit de se ficher de ma vieille ombre en répétant :
Vous l’avez, en dormant, Madame, échappé belle [1].
Ah ! mais oui ! je l’ai échappé belle et j’en suis d’une joie qui touche au bonheur. C’est égal, je me tiendrai plus que jamais sur tes gardes.
Comment vont tes chers petits ? En attendant de vos nouvelles à tous il faut que je te dise ce que Suzanne vient de m’apprendre tout à l’heure. La petite fille de la portière, une enfant de cinq à six ans est en proie à la fièvre typhoïde la plus intense. Cette nuit, paraît-il, elle aurait eu un délire effrayant. Je ne veux pas tarder une minute de plus à t’en informer pour que tu agisses comme te le conseillera la prudence envers toi et envers ta famille. Suzanne te portera un petit mot ce matin que tu liras avant que la chose soit sue chez toi. Quant à moi qui l’ai eue déjà je ne crains rien, mais si par hasard, comme je le crois, tu ne l’as pas eue, il est inutile de t’exposer à cette horrible maladie, ni tes chers petits enfants, ni leur jeune mère. Dès que Suzanne pourra aller chez toi je te ferai porter un petit mot d’avis dont tu feras l’usage que tu voudras. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 110
Transcription de Guy Rosa