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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 décembre [1848], vendredi matin, 8 h.

Bonjour, mon doux adoré, bonjour. Depuis hier je suis en proie à un chagrin que tu comprendras quand tu auras vu la note de Jourdain. Toutes nos prévisions sont tellement dépassées dans le chiffre de ce mémoire que je ne comprends pas comment tu pourras y faire face. Je suis dans une inquiétude qui ne peut pas s’exprimer et si j’avais en moi une ressource dont je puisse disposer je l’aurais employéea à ton insub plutôt que risquer de te voir tourmenté à mon sujet. Hier en te quittant je suis allée acheter la lampe avec Eugénie et de là chez Jourdain qui venait justement d’envoyer sa note chez moi. L’émotion que j’ai éprouvéec en voyant le total monstrueux m’a empêchéed de dîner et de dormir de la nuit. Je redoute tant de te savoir mécontent et je connais si bien la position plus qu’étroite que t’a faite la République que je suis la plus malheureuse des femmes. C’est au point que je voudrais me cacher comme si j’étais coupable et des prétentions beaucoup trop exagérées de Jourdain et de ta gêne. Mais j’ai tout mis de courage, d’énergie et de résignation à supporter la vie telle que le bon Dieu me l’a faite depuis trois ansa, qu’il ne m’en reste plus pour supporter les incidents embarrassants et fâcheux qui se présentent. Ma lâcheté ne peut pas supporter de te voir mécontent ou triste. Tu penses si depuis hier je suis malheureuse.

Juliette

MVH, 8142
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « employer ».
b) « insçu ».
c) « éprouvé ».
d) « empêché ».


29 décembre [1848], vendredi, midi ¾

Je suis toujours sous le coup de cette monstrueuse note, mon adoré, rien ne peut m’en distraire car je m’applique à trouver la solution de ce hideux problème d’une note 940 francs ! Car en supposant les réductions sur les choses exagérées il est trop évident que toutes ces réductions réunies laisseront encore un total formidable. Je suis dans une inquiétude et un chagrin qui a juste l’étendue de la sollicitude et de l’amour que j’ai pour toi. Si cette préoccupationa douloureuse se prolongeait je sens que je n’y résisterais pas. J’éprouve toutes les angoisses d’une femme qui aurait fait une mauvaise action à ce point d’avoir la pensée de m’enfuir. C’est à ce point-là. C’est-à-dire que mon amour a aussi peur de ton mécontentement que de ton chagrin. Si j’avais pu penser qu’un jour je souffrirais toutes sortes de confusions et de terreurs pour un mémoire de tapissier, j’aurais préféré coucher dans un grenier et sur un grabat. Je ne me sens pas le courage de te faire cette révélation de bouche. Je te l’écris pour n’être pas témoin de la surprise désagréable que tu en éprouveras. Je veux que le premier coup ne te soit pas donné par moi en personne. Je veux aussi te donner le temps de réfléchir que j’en suis la cause involontaire afin que ton ressentiment ne s’adresse pas à moi car je sens, et le bon Dieu sait que je dis vrai, que je ne le mérite pas et que je ne le supporterais pas. N’est-il pas hideux que nous en soyons toi et moi à trembler devant un chiffre et que notre sécurité et peut-être notre bonheur tiennent à l’avidité plus ou moins honnête d’un tapissier ? Je m’en sens confuse et indignée et je trouve que ton amour et le mien valent mieux que cela.

Juliette

MVH, 8143
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « préocupation ».

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