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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Copie de lettre de Juliette Drouet à Victor Hugo provenant de la Collection Alfred Dupont vendue à l’hôtel Drouot en décembre 1958.

21 décembre [1848]

Vous voyez que je suis incorrigible, mon amour, et que j’ai l’amour chevillé dans le ventre. Vous aviez compté qu’en ne m’apportant pas de papier vous seriez tranquille. Vous avez beau me priver de votre correspondance depuis que je suis emménagée et me supprimer la subvention fourniture de bureau : mon esprit inventif supplée et fournit à tout, au besoin l’Assemblée nationale m’envoie ses cornes pour me venir en aide. Vous voyez que tous vos traquenards ne m’empêchent pas de me livrer à ma manie gribouillante et grifouillante. À votre place je me résignerais courageusement à mon sort et j’apporterais héroïquement des rames de papier et d’innombrables paquets de plumes d’oies. Pardi, pour un peu plus ou peu moins d’élucubrations jujuniennes vous n’en mourrez pas, sur ce je vais aller me coucher…
Soir Toto, vous devriez en faire autant. Ce n’est qu’à cette condition que je vous permets de ne pas venir me voir. Sinon je la reprends, cette permission et je pousse d’affreux cris, baisez-moi monstre et dormez tout de suite je le veux. Pensez à moi et rêvez de moi depuis les pieds jusqu’à la tête.

Lettre mise à prix 5 000 francs

Adjugée : 10 000 frs plus 21.20%

BnF, Mss, NAF 16366, f. 387


21 décembre [1848], jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon bien-aimé adoré, bonjour, mon cher petit homme, bonjour. Si tu es déjà éveillé et levé tu dois avoir un bien beau spectacle de ta fenêtre par le magnifique soleil qu’il fait. Je tâche de voir aussi par-dessus ton épaule et en même temps je pousse l’indiscrétion jusqu’à regarder dans ton cœur pour savoir quelle place ma pensée y occupe. Malheureusement vous en avez fermé toutes les [illis.] de sorte que je n’y vois rien et que j’en suis pour mes frais de curiosité et de lunette d’approche. Comment allez-vous du reste mon amour ? Moi j’ai rêvé de vous toute la nuit mais ce n’est pas une raison pour que vous en ayez fait autant. Dans ce moment-ci les charmantes petites fleurs que tu m’as données et que je viens de mettre sur ma table font la plus ravissante pantomime qui se puisse voir. Elles me font des petits signes de tête tout à faire amicauxa, elles ont des petits frémissements tendres tout à fait communicatifs. Il semble qu’elles vivent et qu’elles ont une petite âme qui me sourit et qui m’aime. Sans vouloir approfondir la cause de tout ce petit manège charmant, je me laisse aller à croire que ta pensée est venue les animer un moment pour me donner cette petite joie superstitieuse et je t’en remercie du fond du cœur. Sois béni mon adoré autant que je t’aime.

Juliette

MVH, 8129
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « amicals ».


21 décembre [1848], jeudi midi

Tu dois être bien fatigué et bien blasé sur la monotonie de mon amour ? Depuis bientôt seize ans mon cœur bat pour toi avec une régularité de pendule qui fait plus d’honneur à la constance de mon amour qu’au mécanisme de mon esprit. Les événements, les saisons, les années, rien ne peut l’arrêter ni le retarder dans sa marche, ce malheureux amour. Il va de l’avant et toujours en avance sans s’inquiéter du but qu’il atteindra. Que les étapes soient bonnes ou mauvaises rien ne le décourage, il va toujours portant sa besace pleine de tendresses et de voluptés sans s’inquiéter des lois sur la douane. Mais comme tu ne le suis pas dans ses pérégrinations quotidiennes, il s’en suit que tu dois peu t’intéresser à ces aventures et qu’elles doivent t’ennuyer horriblement vu l’absence complètea d’incidents. Pour tout dire en un mot je t’embête. Tu aimerais mieux moins d’amour et même pas d’amour du tout et plus d’esprit, infiniment plus d’esprit. Mais à l’impossible aucune Juju n’est tenue. Si vous voulez essayer du système proudhonien peut-être parviendrions-nous à un meilleur résultat, je vous donnerais autant d’amour que vous en pourriez contenir pour une parcelle de votre esprit. Cet échange s’accomplirait sans appoint de crocodile ou de table de nuit GARNIE DE SES ACCESSOIRES. Voyez si ce libre échange vous convient quant à moi je suis toute prête. Je ne demande pas mieux que de vous emplir et d’être un peu moins bête. Sur ce baisez-moi et que le bon Dieu vous donne beaucoup de soleil.

Juliette

MVH, 8130
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « complette ».

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