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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 octobre [1848], jeudi matin, 9 h.

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon cher petit représentant du diable, bonjour. Vous voyez que je vous écris sur du COTON. J’ai cependant fini par faire ma provision de papier cela n’a pas été sans peine, il est probable que la prochaine fois il n’y aura pas moyen d’en avoir à ce prix-là, du moins aux dires du marchand. Mais ce n’est pas le cadet de mes soucis. Ce qui m’inquiète depuis que j’ai les yeux ouverts c’est de savoir si je pourrai te voir un peu plus que cinq minutes aujourd’hui ? À force de ravaler et de renfoncer mes innombrables mystifications je finis par en avoir le cœur membré au point de ne savoir qu’en faire. Il me semble que pour un homme qui ne parle pas tu es bien affairé et bien pressé de me quitter tous les jours. Le courage, la patience et la résignation ont des bornes comme toutes les choses humaines et je t’avoue que je suis à bout de tout cela. Je sens que mes yeux sont pleins de larmes et que la tristesse me déborde de toutes parts. Cependant, mon bien-aimé, je ne veux pas te tourmenter. Je sens que tu as besoin plus que jamais de ta liberté de corps et d’esprit. Tout ce que je te demande c’est de me donner consciencieusement tout le temps que tu as en-dehors des affaires indispensables et des affections de la famille. Et puis je te bénis, et puis je t’aime et puis je t’adore.

Juliette

MVH, 9022
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux


12 octobre [1848], jeudi soir, 5 h. ¾

J’ai les jambes fatiguées et le cœur bien las, mon pauvre bien-aimé, il me semble que jamais je ne pourrai assez me reposer de mes courses et de ma vie. Le pauvre favori, de [carcassante  ?] mémoire, n’était pas plus à bout de jambes et de souffle que moi ce soir. Je doute fort que les coups de triques et l’éloquence touchante de pierre peignée lui-même parviennent à me remettre sur pied et sur cœur. Je suis triste, triste, triste. Tantôt j’ai rencontré M. de Lamartine avec un monsieur. Il paraît que les séances ne sont pas tellement obligatoires qu’on ne puisse s’absenter de temps en temps et manquer les séances. AUTREFOIS tu n’aurais été moins scrupuleux sur tes devoirs politiques et un peu plus sur tes devoirs d’amour. Autre temps, autre représentant. Je ne sais pas si la République se félicite beaucoup de tes assiduités mais moi je sais que je me désespère de ton abandon. Mais à quoi bon ce rabâchage si ce n’est à t’ennuyer. Il vaut mieux me taire, j’aurai au moins le mérite de souffrir sans me plaindre. Cher bien-aimé, si tu savais combien c’est vrai que je suis découragée et malheureuse, tu aurais pitié de moi. Quand donc serai-je auprès de toi ? Il est vrai que je n’en serai pas plus avancée et que j’aurai en plus l’amertume de te savoir près de moi sans profit pour mon bonheur. Mon Dieu quelle vilaine bête de lettre et que tu as bien raison de me fuir.

Juliette

MVH, 8125
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

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