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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 avril [1846], mardi matin, 8 h. ½

Bonjour mon doux aimé, bonjour mon ange gardien, bonjour mon adoré, bonjour mon petit Toto, je baise tes pieds. L’état de ma fille est toujours le même [1]. Dans ce moment-ci, elle tousse beaucoup mais elle a pourtant passé une assez bonne nuit, au sommeil près. Sa médecine jusqu’à présent ne lui fait aucun effet. Quant à moi, je suis courbaturée jusque dans l’âme. J’éprouve une lassitude morale et physique, que j’ai toutes les peines du monde à surmonter par la raison et par le courage. Je ne retrouve des forces qu’en pensant à toi. Dès que ton amour me touche, je sens mon courage qui revient et mes inquiétudes diminuer. Tu es tout pour moi, comme le bon Dieu. Tout ce qui m’afflige trouve une consolation en toi et toutes les joies me viennent de toi. Je t’aime, mon Victor, je te vénère, je t’admire et je t’adore. L’amour que j’ai dans mon pauvre cœur suffirait pour remplir le ciel et la terre. Je t’aime de tous les amours à la fois. Je suis ta pauvre Juju bien fervente et bien confiante, je m’abandonne à toi entièrement. J’attends tantôt avec impatience pour te voir. D’ici là je vais faire ton eau [2] et soigner ma pauvre péronnelle. Je vais écrire aussi à Mme Marre qui m’en a priée. Adieu cher adoré, à tantôt et peut-être à bientôt, ce qui serait bien plus heureux encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 419-420
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


28 avril [1846], mardi soir, 9 h. ¾

Mon cher bien-aimé, j’ai le cœur plein de toi. Je pense à toi avec une pieuse exaltation, je t’aime à deux genoux. Je viens de donner le sirop de la nuit à ma pauvre fillette. La journée s’est passée à peu près comme les autres à la gaieté près. Ce soir elle se sent fatiguée quoiqu’elle ne se soit levée que le temps de faire son lit. Il est évident qu’elle a ressenti une grande joie de la lettre de son père [3] mais en même temps cela lui a donné une recrudescence de fièvre tout le reste de la journée. J’espère que cette petite crise amènera un heureux résultat et que nous n’aurons pas besoin d’avoir recours à une consultation. Je le désire plus que je n’ose l’espérer et cependant ce n’est pas aujourd’hui que je dois désespérer de rien après la lettre que Pradier a écrite à son enfant. J’avoue que j’étais loin de m’y attendre et qu’elle m’a autant surprise que la pauvre enfant à laquelle elle était adressée. Seulement il est à craindre, avec le caractère de l’homme, que le danger une fois passé, il ne retombe dans son apathique indifférence envers sa fille. Toi seul, mon adoré, peuxa faire que ce bon mouvement ne soit jamais perdu et qu’il ne se rétracte jamais. J’attends ce service d’où dépend l’honneur, l’avenir et peut-être la santé de ma fille, de ta générosité. Tout ce qu’un cœur peut sentir de reconnaissance et d’amour, je te l’ai donné depuis trop longtemps pour avoir rien à ajouter en cette circonstance, à tout ce que j’éprouve pour toi depuis le premier jour où je t’ai vu. Je ne peux que continuer et c’est ce que je fais de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 421-422
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « peut ». 

Notes

[1La tuberculose dont souffre Claire depuis fin mars et qui l’emportera en juin n’a pas encore été diagnostiquée.

[2Hugo vient baigner ses yeux chez Juliette Drouet.

[3James Pradier écrit à sa fille le 27 ou 28 avril : « Eh bien, pauvre Claire, tu es donc vraiment malade ? Malade d’ennui, malade de quoi, pauvre fille ? […] Ce n’est pas avec ton Père qui t’aime bien tendrement que tu dois garder le silence. On m’a dit que tu as du chagrin. Je serais désolé d’en être la cause. Veux-tu laisser là ta pension, veux-tu rester avec moi ? Veux-tu que je te donne de quoi vivre avec ta mère, serais-tu mieux, chère bonne Claire ? Écris-moi ta pensée, et j’exige que tu me la dises toute entière, entends-tu ?........ J’irai te voir car je ne savais pas que tu étais au lit presque toute la journée. Console-toi et guéris-toi et je t’emmènerai dans le Midi faire un petit voyage à Nîmes au bord de la mer. Ne t’inquiète pas, je serai le maître dans cette circonstance. […] J’irai te voir, mais que cela ne t’empêche pas de m’écrire un petit mot, si tu le peux cependant. Adieu, mon pauvre grand enfant. Je t’embrasse et vais chasser tes maux, sois-en-sûre. Ton Père, ton ami dévoué, J. Pradier. » Correspondance, édition citée, t. III, p. 276.

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