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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 mars 1846

22 mars [1846], dimanche matin, 9 h. ½

Bonjour toi, bonjour vous, bonjour vieux cabinet de lecture, bonjour je suis réveillée depuis longtemps grâce au soin que vous prenez de m’endormir comme les poules. Je louerai quelqu’un pour me parler le soir, un HOMME de compagnie pour m’empêcher de dormir comme une marmotte. Jour Toto, jour mon cher petit o. Je me joins au général Fabvier pour t’accabler d’injures…. parlementaires. Je suis très heureuse d’avoir un prétexte pour te dire tout ce que j’ai sur le cœur et ailleurs. Cela t’apprendra à venir lire tes Messagers et tes Moniteurs avec leurs suppléments no 1, no 2, no 3, no 4, no 5, no 6, no 7 embêtant pour avoir le droit de ne pas m’ouvrir la bouche de toute la soirée. Comment allez-vous ce matin, vilain ? Je suis bien sûre que vous ne lisez aucun Moniteur et que vous êtes très aimable avec tous vos gens et vos gentes sans en excepter Cocotte ? Le silence et la lecture ne sont que pour moi. C’est mon aimable personne et mon délicieux esprit qui vous inspirent le mutisme le plus absolu. C’est flatteur mais ma modestie en souffre et je vous prie de l’épargner à l’avenir en me disant quoi que ce soit : DEMENS QUI NIMBOS [1], etc, etc. Pourvu que vous me disiez quelque chose cela me suffira. Je ne suis pas exigeante, comme vous voyez. En attendant, baisez-moi et venez le plus tôt que vous pourrez, je vous pardonnerai tous vos trimes. Cher bien-aimé, mon Toto, ma vie, ma joie je te baise de l’âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 293-294
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


22 mars [1846], dimanche après-midi, 4 h. ½

Quel bonheur de te voir, mon bien-aimé, quelle joie d’entendre ta douce voix essayer de me rendre compréhensible des choses étrangères pour moi et au dessus de ma médiocre intelligence. Eh ! bien dès que c’est toi qui me l’expliques je comprends tout. On dirait que mon cœur monte à mon cerveau pour t’écouter et pour te comprendre. C’est peut-être très bête ce que je te dis là [2] mais ma langue et ma plume se refusent à rendre ce que je sens si bien. Il faut que je me résigne à ne te dire que des admirations tout de guingois et des tendresses mal tournées ou à me taire et pour moi le remède serait pire que le mal. Je continue donc de plus belle sans me préoccuper du plus ou du moins de stupidités que je dépose chemin faisant en te gribouillant cette feuille de papier. J’aime la colère de Vacquerie quoiqu’elle te paraisse trop sévère. Tu as raison d’être indulgent et bon, et tes amis ont encore plus de raison d’être sévères envers tes ennemis qui sont bien les plus lâches et les plus hideux coquins de l’univers. Quant à moi je les approuve de toutes mes forces et si je pouvais même je les aiderais dans leur besogne d’extermination. Quel plaisir ce serait de vider des amphores les plus crépusculaires sur ces immondes drôles et de les essuyer avec des manches à balai et de les éponger avec des paniers. Rien que d’y penser cela me fait venir la TRIQUE au bout des doigts. Malheureusement on est trop sobre de ce genre de représailles, ce qui fait que les honnêtes gens sont toujours les dupes dans ces mêlées de grimauds, de cuistres, de filousa, de crétins, de [illis.], et de goitreux. Pour ma part j’ai un tas d’arriéré qu’il me serait doux de rattraper sur les épaules d’un Rolle quelconque et puis je t’adore, je te désire, je t’attends, je te baise et je t’adore.

Ju

BnF, Mss, NAF 16362, f. 295-296
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « filoux ». 

Notes

[1Citation de l’Eneide de Virgile, Chant VI, v. 590 : « Demens, qui nimbos et non imitabile fulmen aere et cornipedum pulsu simularet equorum. » (« Fou qu’il était, prétendant simuler les nuages et l’inimitable foudre avec sa trompe d’airain et le battement des sabots de ses chevaux. »)

[2Citation de Ruy Blas : « C’est bête comme tout ce que je te dis là », dit don César au laquais (Acte IV, scène 3).

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