Guernesey, 12 sept[embre 18]78, jeudi matin, 7 h.
Cher bien-aimé, je me suis tant indulgée [1], ce matin en restant au lit très tard que ma restitus en est elle-même toute désheurée [2]. J’espère que tu ne t’en apercevras pas parce que tu n’es probablement pas encore réveillé.
Le beau temps, pour s’être fait si longtemps attendre, n’en paraît que plus beau, témoin celui que nous avons depuis une dizaine de jours. On dirait que nous avons brusquement retourné de trois mois en arrière tant le soleil est chaud, le ciel bleu et la nature exubérante.
Moi-même je crois sentir reverdir au fond de mon cœur toutes les illusions de mon amour. Combien de temps dureront cette saison rétrospective et ces espérances de bonheur ? Dieu seul le sait ; mais la sagesse est d’en profiter avec reconnaissance. Donc, mon grand bien-aimé, je te souris, je t’admire, je t’aime, je te bénis, je t’adore et je remercie Dieu de toute mon âme.
Monsieur
Victor Hugo
Hauteville House
Syracuse
Transcription Gérard Pouchain
[Barnett, Pouchain]