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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 janvier [1846], vendredi matin, 10 h. 

Bonjour mon cher petit Toto, bonjour mon pauvre amour, bonjour comment que ça va ? Moi je vais bien, je t’aime de toute mon âme. J’ai les fumistes [1]. Quel bonheur !!! Si je voulais je t’en dirais depuis un bout de cette feuille jusqu’à l’autre bout, des horreurs et des infamies et des rageries et des fumeries et des atroceries car je suis furieuse. Mais je ravale tout cela et je me contente de surveiller mes charabias avec la plus tendre sollicitude car tout est ouvert chez moi et tout traîne sur les meubles comme tu sais. Et, malgré la probité proverbiale de ces rapias ou peut-être à cause de cela, je ne m’y fie que tout juste, c’est-à-dire que je ne m’y fie pas du tout. Voilà, mon cher petit homme, le divertissement que j’ai ce matin en attendant mieux. Je ne sais pas si je te verrai bientôt mais je sais que je le désire de toutes mes forces. Il y a bien autre chose encore que je désire mais dont je ne parle que pour mémoire car je sais bien que ce n’est pas possible, je veux parler de la CULOTTE. Je ne peux pas te dire à quel point je la désire et combien elle me serait nécessaire. Si tu m’aimes tu dois le deviner. Pour l’avoir je donnerais mon grand couteau, ma belle guipure et Coromandel, et bien autre chose avec. Eh ! bien tout cela ne vous tente pas, vous, vous aimez mieux aller à la Chambre entendre des bêtises et des maladresses à propos de l’adresse et contempler les beautés aristocratiques à travers les gazons plus ou moins aventurinés du duc Pasquier et de marquis CHOSE. Grand bien vous fasse mais moi j’aimerais mieux une PONNE [JUISOTTE  ?] pien [2] [illis.], pien [illis.], pien [midonnée  ?], et pien [pourrée  ?].Voilà mon opinion. Je suis fâchée si elle vous choque mais je ne saurais pas en changer.
Cher petit Toto, mon amour, ma joie, je t’aime. Je suis heureuse de mon seul amour comme les martyrs l’étaient de leur amour pour Dieu. Je voudrais mourir pour toi et pour les tiens et ne crois pas que je te dis cela en l’air mon adoré bien-aimé, c’est du fond même de mes entrailles et avec le désir ardent d’être exaucée que je te le dis. Ce serait ma couronne et ma gloire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 49-50
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


16 janvier [1846], vendredi soir, 5 h. 

Encore une journée passée, mon Victor bien aimé, encore des heures écoulées que je ne regrette pas, au contraire, puisque je ne pouvais pas les passer auprès de toi. Je voudrais que toutes celles qui me restent encore à traîner soient dans le sac aux oublis comme celles d’aujourd’hui, afin de n’avoir plus à vivre d’un seul trait que de celles que nous avons à vivre ensemble. Le bon Dieu devrait pouvoir laisser faire la part de sa vie comme on voudrait et vous laisser à votre guise manger d’abord le pain tout sec et les confitures pures selon le goût du génie, au lieu de leur beurrer les tartines avec tant de parcimonie que souvent on ne s’aperçoit pas qu’il ait rien mis dessus. Je me plains toujours, mon Toto, pour n’en pas perdre l’habitude et cependant je t’aime par-dessus tous les ennuis de la vie. Si je pouvais m’habituer à te désirer moins je serais peut-être plus aimable mais non pas plus heureuse. T’aimer c’est ma vie. Te voir c’est mon bonheur. Penser à toi c’est ma joie. Te l’écrire c’est ma consolation donc je suis une vieille bête de me plaindre. Je veux te sourire quand tu viendras. Je veux te parler et te dire s’il a crié quand il m’a mordu [3]. Je veux te donner mon grand couteau, la médaille d’ivoire, vas-y voir, la belle guipure et l’admirable Coromandel. Je veux te baiser depuis la pointe de tes cheveux noirs jusqu’au bout de tes petits pieds blancs. Je veux t’adorer à plein bord.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 51-52
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette se plaignait de la nuisance de la fumée de son voisinage.

[2Graphie fantaisiste pour « bien ».

[3Citation à élucider.

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