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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 janvier [1846], samedi matin, 10 h. ¾

Mon aimé, mon adoré, mon ineffable Victor, je t’aime. Toutes les choses de ce monde, heureuses ou malheureuses, ne servent qu’à me faire sentir davantage à quel point je t’aime. En voyant hier le danger auquel nous avons échappé je n’ai pensé qu’à toi. Je remerciais le bon Dieu dans l’effusion de mon âme de t’avoir épargné cet effroyable malheur absolument comme si c’était chez toi et non chez moi que la chose s’était passée. C’est qu’en effet il n’y a pas de chez moi pour moi. Toute ma personne, toute ma maison, toutes mes pensées, toute ma vie et toute mon âme sont à toi, bien à toi, rien qu’à toi. Ce qui pourrait me frapper ne m’atteint qu’à travers toi. Ce matin j’ai encore mieux vu le dégât. Le parquet est brûlé en charbon à une certaine place. Tout le cabinet et le salon sont couverts de cendre blanche. Enfin, mon pauvre adoré nous l’avons échappé belle. Je viens de faire venir le menuisier pour qu’il me fasse un autre séchoir. Demain il n’y paraîtra plus mon Toto, mon aimé, mon amour, ma joie, ma vie, mon bonheur. Je t’adore. Je voudrais donner des ailes à mon âme pour te l’envoyer. Je voudrais remplir l’air de mes baisers pour que tu en sois tout imprégné. Je voudrais te faire un rempart de mon cœur pour te préserver de toutes mauvaises chances. Je voudrais mourir pour toi, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 7-8
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


3 janvier [1846], samedi soir, 4 h. ¾

Cher petit homme, tu t’occupes toujours de moi et de ma fille comme si tu n’avais que cela à penser. C’est d’autant plus doux et plus charmant que tu as au contraire toutes sortes d’affaire et d’encombrement dans ce moment-ci. Cependant mon Victor adoré je ne t’en remercie pas. Je t’aime. Je vais avoir tout à l’heure Mme Guérard et sa mère à dîner. Elles se sont invitées tantôt et j’ai accueilli leur invitation avec toute la gracieuseté dont je suis capable. Elles sont allées faire des visites dans le voisinage en attendant l’heure du dîner, ce qui me laisse le temps de t’écrire. Claire est toujours absente, je ne sais pas si elle aura trouvé son père. Je le voudrais pour elle, puisqu’elle y attache une idée de bonheur. Demain elle ira chez Varin. Malheureusement il est peu probable qu’elle puisse s’absenter de la pension d’ici à quinze jours [1]. Je ne sais pas comment on s’arrangera pour lui faire avoir une dictée ou deux avant son examen ? Demain nous saurons si la difficulté est résolue. Demain ce pauvre Charlot s’en ira de son côté pour le même objet [2]. Dieu veuille qu’il réussisse car ce serait un bien gros chagrin pour lui et pour tout le monde. Quant à ma pauvre péronnelle [3] je n’ose pas y penser. Je serai bien heureuse le jour où ces deux épines seront hors de notre vie. En attendant il faut se confier au bon Dieu et espérer. C’est ce que je fais le plus possible en t’aimant de toutes mes forces, en te désirant de même.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 9-10
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Claire est en pension dans un établissement de Saint-Mandé où sa mère et Victor Hugo se rendent tous les jeudis pour lui rendre visite.

[2Charles Hugo s’est exilé à Rennes pour passer son baccalauréat.

[3C’est ainsi que Juliette surnomme sa fille Claire.

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