Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1848 > Mars > 30

30 mars 1848

30 mars [1848], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour. Je devrais m’en tenir à ce bonjour laconique pour t’épargner les doléances et le récit d’une nuit pleine d’insomnie et de coliques, ce qui n’est rien moins que poétique et très peu fait pour monter l’imagination même en s’y prêtant beaucoup. Encore si je me sentais guérie mais loin de là, je souffre plus que jamais et je suis courbaturée comme à la veille d’une maladie. Je sais bien que l’inflammation d’entrailles est toujours accompagnée de ces symptômes-là et je ne m’en étonne pas. Seulement je crains de ne pouvoir pas aller avec toi aujourd’hui, ce qui me sera un vrai chagrin. Les moments où je te vois sont trop rares et trop courts pour que je ne ressente pas très vivement la perte d’un seul. Cependant j’espère encore que d’ici à tantôt je serai un peu calmée et que je pourrai t’accompagner jusqu’à l’Institut [1]. Je n’aurai que le Pont des Arts à traverser pour aller t’attendre et me reposer chez Mme Tissard. Le temps est beau et je serais bien heureuse d’en profiter avec toi. Je vais tâcher de calfeutrer mes issues et de boucher toutes mes voies pour le moment où tu viendras me chercher.

Juliette

MVH, 8056
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux


30 mars [1848], jeudi midi

Cher bien-aimé, je m’apprête à tout hasard et malgré les émeutes intérieures que font mes pauvres BOYAUX. Il me semble que l’air et la distraction et surtout le bonheur d’être avec toi me rendra la paix du CORPS et la joie du cœur car je te dirai qu’à ma courbature physiquea se joint une lassitude morale inexprimable comme si ma pensée, mon cœur et mon âme avaient porté un fardeau au-dessus de leur force. Il me semble par moment que ce qui est ma vie est lézardé comme un vieux mur et que cela va s’écrouler au-dedans de moi. Ce n’est qu’en l’étayant de ton amour que je parviens à la soutenir et que je vis deboutb. Mais je te dis là, des choses, des folies [2] dont une pauvre Juju comme moi devrait s’abstenir sous peine d’être ridiculement stupide. Mais avec toi je ne me gêne pas et je te dis tout ce que j’éprouve au-dedans comme au-dehors, en long et en large, en bas et en haut, en carré et en travers sans souci de la forme, de la rime et de la raison. La seule chose sur laquelle ma modestie ne le cède à personne c’est mon amour. Pour cela je suis sûre que je t’aime plus et mieux que qui [que] ce soit au monde et au-delà. Ceci une fois posé, je me fiche du reste excepté pourtant de la colique qui me tord en ce moment et qui me fait craindre de ne pouvoir pas aller avec toi. Ce serait pourtant bien humiliant je ne pardonnerais pas à mon affreux ventre de faire ce tort à mon pauvre cœur.

Juliette

MVH, 8047
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « phisique ».
b) « de bout ».

Notes

[1L’Institut de France regroupe cinq académies, dont l’Académie française où siège Victor Hugo depuis 1841.

[2Citation de Ruy Blas (le héros commente ainsi les confidences qu’il fait à son ami sur l’amour qu’il éprouve pour la Reine).

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne