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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 mars 1848

29 mars [1848], mercredi après-midi, 1 h.

Je continue de tirer sur mon 150 francs avec toute l’énergie dont je suis capable et de compte fait il me reste 3 francs 2 sous pour aller jusqu’à samedi matin. J’espère que le bon Dieu fera pour mes 3 francs 2 sous un peu de miracle des 5 pains et des poissons dans le désert et qu’il les multipliera de manière à en nourrir non cinq mille hommes, mais deux simples femmes qui ont des dents effrayantes. En attendant je fais toutes sortes de dépenses de LUXE, rétamer des casserolesa, raccommoderb des brodequins, acheterc DEUX CURIOSITÉS, sans compter le reste. Le mois prochain, je ne désespère pas de venir au secours de la crise financière de mes propres deniers à moins que je n’aie le sort du cheval dont on diminuerait la ration d’avoine de jour en jour et qui s’est avisé de mourir juste le jour où il s’était habitué à n’en pas manger du tout. J’espère que je n’aurai pas ce mauvais goût et que je ne jouerai pas ce méchant tour à mon économie. Je ne sais pas si c’est une idée, mais il me semble que je suis un peu plus bête depuis la République.
Je sais bien que cela n’a pas d’inconvénient pour l’humanité mais cela peut cependant à la rigueur t’embêter énormément. Je le sens et je m’en afflige pour toi et pour moi. Si je pouvais changer mon tic en quelque chose d’aimable et de charmant, hélas ! je ne sais même par quel bout m’y prendre. Je t’aime, je t’adore, je ne sors pas de là.

BnF, Mss, NAF 16366, f. 129-130
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette


29 mars [1848], mercredi matin, 9 h.

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour avec toute la sève de mon âme, avec toutes les fleurs de mon amour, avec toute l’exubérance de la passion la plus pure et la plus dévouée, bonjour. Je te vois bien peu, mais si peu que ce soit ta douce vue suffit pour éclairer, réchauffer et vivifier en moi tout ce qu’il y a de bon, d’aimable et d’heureux. Je te remercie, mon soleil, je t’aime, ma joie, je te bénis, mon amour. Je t’admire mon sublime poète. Je baise tes pieds et je me prosterne devant ta divine bonté. Je t’écrirai ce soir ce que j’ai vu hier. Je voudrais que mes observations s’arrêtassent là et que tout rentre dans le calme parfait car je sens à travers l’épaisseur de ma pauvre intelligence qu’il vaudrait mieux pour tout le monde un peu moins de Marseillaise et un plus de tranquillité.
J’ai reçu tout à l’heure une lettre de mon beau-frère [1], en voici un passage : « ici l’enthousiasme n’est pas grand et est en général le résultat de la peur et de la nécessité ».
Je crois que c’est à peu de chose près le sentiment vrai de chacun des Parisiens. Mais c’est assez de politique comme cela pour une fois. Ma constitution physique et morale n’en supporte même pas autant. Je t’aime, voilà mon opinion. Je t’adore, voilà ma devise.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 131-132
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Louis Koch, époux de la sœur de Juliette Drouet, Renée.

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