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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 mars 1848

25 mars [1848], samedi matin, 8 h. ½ 

Bonjour, mon Toto, bonjour et surtout bon vent pour vous amener bien vite dans mes parages car depuis hier je vous attends sans beaucoup de succès. Je suis rentrée exprès avant dix heures, espérant que vous trouveriez un moment pour venir m’embrasser mais j’avais compté sans mon AUTRE [1] et j’en ai été pour mes frais de bois, de feu, de bougies et d’impatience et de patience jusqu’à minuit. Aujourd’hui je ne serai probablement pas beaucoup plus heureuse dans mes espérances. Cependant je ne peux pas m’empêcher de m’y livrer cœur et âme, ne fût-ce que pour m’empêcher de jeter le manche après la cognée et de m’abandonner pieds et poings liés à tous les découragements et à toutes les mauvaises humeurs du monde. Il faut convenir que tous les gouvernements de la terre ne me favorisent pas plus les uns que les autres et que je suis Juju comme devant et pendant la République. J’ai beau dire, je suis toujours en déficit dans ma bourse et dans mon cœur. Je dépense toujours plus que je ne reçois de NUMÉRAIRE et d’amour. Le moyen avec cela de mettre les deux bouts ensemble et d’être content ? Pour moi je ne le sais pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 117-118
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette


25 mars [1848], samedi après-midi, 1 h. 

Je ne peux pas raisonnablement t’espérer avant tantôt et je ne comprends pas pourquoi je suis si peu maîtresse de mon impatience que je ne puisse pas attendre courageusement et avec calme le moment où tu pourras venir. J’ai beau faire et beau dire pour me faire prendre mon mal en patience, mon éloquence ne prévaut pas sur mon ennui et sur ma tristesse. Je suis plus grognon et plus malheureuse que jamais et je donnerais ma vie pour un monaco [2] de la République. Ce n’est pas le moyen de te faire venir plus vite, au contraire, je le sais, je le sens et je fais tous mes efforts pour prendre mon mal en patience et faire bonne mine à mauvais jeu mais je suis bien gauche à ce métier-là et rien de ce que je fais ne saurait donner le change à personne et encore moins à moi sur mes véritables sentiments intérieurs. Le mieux serait que tu vinsses tout de suite et que tu ne t’en ailles pas. Cher adoré, tout ce rabâchage te prouve à quel point tu es toute ma préoccupation, tout mon besoin, tout mon amour et tout mon bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 119-120
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Compter sans son autre : compter sans la malchance.

[2À l’origine, on donnait le nom de monaco à une monnaie frappée aux armes du prince de Monaco. Le mot, resté dans le langage familier, a pris la signification de monnaie de cuivre quelconque. (GDU)

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