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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 octobre [1847], samedi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon Toto, bonjour mon grand [diable  ?], bonjour. Je me permets de vous féliciter de votre incommensurable talent sur la bouteille à l’encre parce que je crois que votre chère femme va toujours de mieux en mieux et que cette pensée me réjouit le cœur et l’âme [1]. Je vous dirai donc que votre dernier tableau ne manque pas d’un certain chic. Il y a même des terrains défoncés à travers lesquels on voit le jour, ce qui est d’un effet assez pittoresque et très nouveau. Jusqu’à présent on n’avait fait que des trous à la lune, ce qui était d’un effet vulgaire et à la portée du premier agent de change venu. Vous, vous en faites à travers tout et à travers [choux  ?] et cela vous réussit on ne peut mieux. Ce qui ne m’a pas empêchée de ramasser vos boulettes sur ma commode et de voir que vous aviez passé une partie de la nuit à pignocher votre nouveau chef-d’œuvre. Pour ce qui est du mien, je vous supplie de ne pas le soumettre au même raffinement parce que de sa nature il ne le supporterait pas aussi courageusement. Je me contenterai de l’ébauche, je ne tiens pas au sublime de la perfection. Voime, voime. Je ne veux pas qu’on m’abîme mes affaires.
Sur ce baisez-moi et laissez-moi vous dire vos dures vérités. Je vous adore.

Juliette

MVH, α 7770
Transcription de Nicole Savy


16 octobre [1847], samedi soir, 7 h.

Plus je me lave les mains et plus elles sont noires. Cependant Dieu sait si je suis innocente de votre barbouillage. Pilate, de limpide mémoire, n’était pas plus irréprochable que moi, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir les mains propres, si on en croit le Corsaire Satan de ce temps-là. Au même moment, je m’aperçois que ma figure ressemble à une lithographie sur papier de Chine, mon mouchoir en est tout noir. Comment voulez-vous après cela que je vous voie dessiner en robe ? Mais quoique vous m’en fassiez voir de toutes les couleurs, je fais assez grise mine à la nouvelle industrie que vous venez de vous créer. Sans parler des dépenses extraordinaires que cela me forcera de faire avec mon blanchissage. Tenez je crois décidément que j’aime mieux jouer aux dames avec vous. Ça n’est pas aussi SALE et c’est plus embêtant.
Vous êtes bien heureux que votre chère bonne femme aille de mieux en mieux, car sans cela je ne prendrais peut-être aussi philosophiquement les dégâts que vous faites dans ma maison sous prétexte d’ART, mais je suis si contente de savoir cette douce et charmante femme en voie de guérison que je passe par-dessus tous les inconvénients de votre peinture, la preuve c’est que je vous aime comme un chien qui ne serait pas enragé.

Juliette

MV-MVH, Villequier, Inv. 1957.28.1
Transcription de Marie-Jean Mazurier

Notes

[1Mme Hugo se remet de la fièvre typhoïde.

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