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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 mars 1843

30 mars [1843], jeudi, 12 h.

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher adoré. Comment vas-tu mon bien chéri petit homme ? J’ai rêvé de toi et de tes enfants toute la nuit. J’avais beau me réveiller, je retombais toujours dans le même rêve. Je ne m’en plains pas car le rêve, pour être embrouillé, n’en était pas moins charmant. Mais, toi, mon pauvre adoré, tu n’as pas eu le temps de rêver. As-tu pris seulement celui de dormir un peu cette nuit ? Je ne sais pas comment tu peux y tenir comme santé et comme douceur, gaieté et bonté charmante. C’est un problème que ma nature acariâtre ne me permet pas de résoudre. Pour moi qui ne fais rien, qui ne suis bonne à riena, je trouve moyen d’avoir des migraines hideuses, témoin celle que j’ai aujourd’hui et je suis toujours d’une humeur massacrante contre toute la nature. Il y a des grâces d’état, comme tu vois, mais je renoncerais volontiers et de grand cœur aux miennes.
J’ai envoyé ce matin chez Mme Franque. Elle viendra ce soir avec moi et M. Suquet ira de son côté. Ce dernier n’était pas chez lui quand Suzanne y est allée mais Mme Franque a dit qu’il irait sur la tête plutôt que de manquer au bonheur qu’il désirait depuis si longtemps. Plût à Dieu que la représentation de ce soir soit aussi bonne que celle de mardi. Cependant ces misérables doivent être las et honteux de leurs turpitudes avortées. Enfin nous serons là ce soir, nous verrons bien. Si les acteurs pouvaient tenir pied comme Ligier et Guyon l’ont fait jusqu’à présent, tout serait sauvé. Mais je redoute toujours la faiblesse de Beauvallet et de Geoffroy [1]. Cependant, pour être juste, voilà deux fois qu’ils ont courageusement tenu tête. Il faut espérer qu’ils continueront. D’ailleurs, je suis cuirassée de toute façon contre toutes les malveillances et les accidents qui en peuvent résulter. Si je n’avais pas un affreux mal de tête dont je ne sais que faire, cela me serait presque égal.
Le temps continue d’être au beau. Comme si nous avions affaire de beau temps dans ce moment-ci ! Le bon Dieu et la comète [2] nous la baillent belle vraiment. Ils feraient bien de nous garder tout cela pour le moment où nous serions libres et sur une grande route, en supposant que nous le soyons encore à présent, ce dont je doute très fort par parenthèse. Tu ne m’aimes plus assez pour te rendre libre. Je le sens et j’en suis au désespoir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 273-274
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « bonnerien ».

Notes

[1Dans les Burgraves, Ligier joue le rôle de Barberousse, Guyon, celui de Magnus, et Geoffroy, celui d’Otbert.

[2La comète de Halley a été observée entre février et avril 1843.

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