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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 mars 1843

21 mars [1843], mardi après-midi, 2 h. ½

Tu es bien gentil, mon Toto, d’être revenu ce matin. Je t’en remercie du fond du cœur. J’ai besoin, pour me redonner de la confiance et du courage, de ces preuves d’amour de temps en temps. Plus ce serait le paradis et depuis longtemps je ne suis plus à ce régime. Mais j’ai été la plus heureuse des femmes ce matin en te voyant revenir. Je ne te l’ai pas montré autant que je l’aurais voulu, parce que je suis un peu souffrante mais dans mon cœur j’étais heureuse comme depuis longtemps je ne l’étais plus.
Je désire et je redoute, tout à la fois, mon adoré, d’assister aux représentations des Burgraves. D’un côté le bonheur d’entendre les plus beaux vers que tu aies jamais faitsa, de l’autre te voir en butteb à cette ignoble cabale me rend si malheureuse que ces deux sentiments contradictoires ont beaucoup de peine à s’accorder entre eux et je suis dans une hésitation douloureuse qui me rend presque malade. Cependant, mon Toto, le besoin de t’admirer l’emporte sur ma couardise et si tu peux m’envoyer jeudi à la représentation, je serai la plus heureuse des femmes en dépit de tous les misérables qui seront là.
Tu crois donc, mon pauvre amour, que nous ferons un petit voyage cette année ? Pour avoir ce bonheur suprême, je donnerais sans hésiter la moitié de ce qui me reste à vivre. Si tu pouvais voir le fond de mon cœur, si tu pouvais savoir combien j’ai besoin de ton amour tu comprendrais que ce n’est pas une manière de parler quand je dis que pour avoir deux mois de bonheur sans partage et sans interruption avec toi, je donnerais dix ans de ma vie. Depuis que tu m’as dit cela, mon Toto, je suis sens dessus dessous. Je voudrais être plus vieille de deux mois pour voir se réaliser cette promesse. Les deux années qui viennent de s’écouler m’ont rendue très défiante et je n’ajouterai foi entière à tes paroles que lorsque nous serons juchés tous les deux sur quelque impériale de diligence.
En attendant, je me ronge les poings d’impatience et je trouve les heures et les journées mortellement longues. Je t’aime, mon Toto. Je voudrais le crier tout haut à toute la nature. Je t’aime : j’aime Toto ! J’aime Toto ! J’aime Toto ! J’aime Toto ! Je baise tes chers petits pieds ravissants.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 247-248
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « fait ».
b) « but ».

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