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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 2 janvier 1878, mercredi soir, 5 h. ½

Cher bien-aimé, c’est la première fois depuis que nous nous aimons que mes doubles restitus n’ont pas répondu à ta chère petite lettre de bonne année. Aussi en ai-je le cœur bien troublé et bien malheureux depuis hier. Que signifie pour l’avenir ce présage de mauvais augure ? Je crains de le deviner et je m’y soumets d’avance à la condition d’emporter avec moi ton amour tout entier jusqu’aux pieds de Dieu. Je lui demande cette suprême faveur de me faire mourir en pleine possession de ton cœur ; ce soir même si tu dois m’aimer moins demain. J’espère qu’il m’exaucera puisque ma vie est faite de ton amour. Cette certitude de mourir le jour où tu ne m’aimeras plus me tranquillise et je suis moins effrayée du pronostic noir de la journée d’hier.
C’est égal je tâcherai de ne pas me laisser bêtement débordera par un tas de gens et de choses comme je l’ai été hier et presque encoreb aujourd’hui. Et d’abord je n’irai voir Lesclide qu’après que mon gribouillis sera achevé. C’est bien le moins que je prenne le temps de te dire entre quatre pattes de mouches que ta bonne petite lettre n’a pas quitté la place de mon cœur depuis hier si ce n’est le temps de la baiser des yeux, des lèvres et de l’âme. Quant à ce soir, je la garde comme une armure contre le mauvais œil, sic tant est qu’il puisse s’en trouver un parmi nos convives. Je voudrais bien que Petit Georges et que Petite Jeanne nous disent leur opinion sur la grande chose qui se prépare et sur laquelle tu n’as pas encore dit ni le premier ni le dernier mot. En revanche il n’est question que de cela dans le monde politique et littéraire de la France et de l’Étranger. Moi-même je suis très perplexe ; vous ne vous en doutiez pas ? Et bien c’est comme ça. Ce TO BE OR NOT TO BEd évolue dans ma pensée depuis que le bon Bardoux en a eu la triomphante, la grande, la patriotique idée [1]. Et quoi que tu décides, je lui en sais gré et je l’en honore en t’admirant et en t’adorant à sec de cordon si cela te convient mieux.

BnF, Mss, NAF, 16399, f. 1
Transcription de Chantal Brière


a) « débordée ».
b) « presqu’encore »
c) « s’il ».
d) « TO BY OR NOT TO BY  ».


Paris, 2 janvier [18]78, mercredi soir

Tu sais que je ne te tiens pas quitte encore avant d’avoir mon compte de baisers, de sourires et de…tout. Je suis très décidée à ne me soumettre ni à ne me démettre [2] de mes droits [illis.] maintenant jusqu’au bout autant et plus que le citoyen Mac Mahon. À propos j’ai oublié de te faire penser à descendre de l’argent pour remplacer les [70 F. ?] de gages que j’ai payés ce matin aux deux servantes. Il faudra que tu combles cette lacune demain matin. En attendant le nombre des invités va toujours croissant sans parvenir à rassasier tous tes admirateurs… interrompus par toi, par Boullet, sans compter le brouillard qui se mêle de ne pas éclairer sous [ce ?] prétexte. Il faut forcer le gaz pour obtenir une vague lueur rougeâtrea. J’espère que la lumière finira par se faire au moment de dîner. J’ai vu Lesclide et je suis convenue avec lui qu’il viendra dîner avec sa famille vendredi prochain. Cela fera un accompagnement charmant à la présence des Bravura [3]. Quant aux Gouzienb, je les ai invités pour dimanche. Samedi jour des sénateurs est réservé, te voilà renseigné. Il ne me restec plus qu’à t’apprendre le dernière nouvelle : je t’adore.

BnF, Mss, NAF, 16399, f. 2
Transcription de Chantal Brière


a) « roujeâtre ».
b) « Gouziens ».
c) « rest ».

Notes

[1Agénor Bardoux, ministre de l’Instruction publique voulait donner la grand-croix de la Légion d’honneur à Hugo. (Massin, CFL, t. XV-XVI/2, p. 901).

[2« Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre » (Léon Gambetta, Discours prononcé à Lille le 15 août 1877). Le 19 septembre Mac Mahon réplique en lançant un manifeste aux Français leur demandant de choisir entre sa politique et le « radicalisme » de Gambetta.

[3Le nom de M. et Mme de Bravura se trouve dans le carnet de 1873 à la date du 21 juillet (Massin, CFL, t. XV-XVI/2, p. 808).

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