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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 août 1847

3 août [1847], mardi matin, 7 h.

Bonjour Toto, bonjour mon cher petit o, bonjour. Ma plume vous crache au nez toutes sortes de bonnes tendresses, la malhonnête. Le temps me paraît un peu brouillé, cependant je veux aller vous chercher et même si c’est possible je voudrais aller vous conduire. Je vais me dépêcher pour cela au risque d’en être pour mes frais de DILIGENCE.
Dites donc, gros IMPOLI, je voudrais bien avoir à qui vous croyez parler quand vous dites que : du vilain papier, c’est assez bon pour MOI ? Qu’est-ce que vous diriez si je vous tirais la langue et si je rentrais ma plume dans le fourreau ? Cela vous dispenserait d’acheter du papier moins grossier que vous, et cela m’épargnerait la honte de semer des pataquès devant un …….a pair de France ? J’ai envie d’en essayerb et de vous forcer à employer vous-même votre papier torch..onc pour me donner Boisgontier, Masson et autres Fargueil du même calibre. Cela vous apprendra une autre fois à avoir des égards envers une faible femme qui n’a d’autres torts que de vous trop aimer. Attrapéd !!!!!!e Je verrai, j’y réfléchirai et je m’exécuterai selon mon inspiration.
Vous dites donc que, si on donne Les Girondins ce soir, vous dînerez avec moi ? [1] C’est bien heureux ! Ce serait mieux encore si vous me donniez toute votre soirée au lieu d’aller à cette 1ère représentation. AUTREFOIS vous n’y auriez pas manqué. Autrefois, autre Toto, à présent, même Juju, toujours même Juju, voilà la différence. Pourtant je ne vous grogne pas. Je suis très reconnaissante du pauvre petit moment que vous me donnez à l’ombre de mes haricots et de mon bifteckf. J’aime encore mieux que ça que rien mais j’aimerais bien autre chose avec. Vous voyez que je n’ai pas besoin de manger pour avoir de l’appétit.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/49
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) Il y a sept points de suspension.
b) « esseyer ».
c) Il y a deux points de suspension au milieu du mot.
d) « attrappé ».
e) Il y a six points d’exclamation.
f) « buffsteack ».


3 août [1847], mardi matin, 11 h. ½

Si mes gribouillis sont invariablement bêtes et stupides ne vous en prenez qu’à vous. Si vous ne me laissiez pas si souvent, et même toujours, livrée à moi-même je pourrais, à défaut d’esprit, avoir des évènements et des incidents variés à vous raconter. Mais, seule, toujours seule, je ne sais que vous dire pour ne pas vous rabâcher toujours le même amour qui finit par ressembler à la fameuse note de Bilboquet [2]. Encore si vous aimiez cette note-là, vous, vous ne vous apercevriez peut-être pas autant de la monotonie du refrain mais je crois que vous êtes très peu amateur de musique en général et de mon amour en particulier, ce qui doit vous faire trouver mes griffouillis insupportables. Qu’y faire ? Ne pas vous écrire ? J’y ai songé bien souvent mais alors qu’est-ce qui me resterait à moi ? Je n’ai pas d’autre consolation que de vous écrire deux fois par jour les insignifiantes billevesées qui me passent par la plume. Je ne suis pas assez généreuse pour y renoncer comme cela. Subissez donc votre malheureux sort, mon Toto chéri, puisqu’aussi bien c’est un peu de votre faute. Maintenant parlons peu et parlons bien : je suis très heureuse de la pensée de dîner avec toi ce soir. J’aurais pu l’être davantage encore mais cela n’est pas possible et je me contenterai de ce que tu me donneras. En attendant je fais force de voile et de rame pour être prête à te conduire quand tu viendras. J’espère que je serai moins platement niaise qu’à présent. Il me semble que j’ai le cerveau vide et que mon cœur est trop plein. Je ne trouve rien à t’écrire et j’ai des baisers et des caresses qui ne demandent qu’à se poser sur tes lèvres et par toutea ta chère petite personne adorée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 172-173
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « tout ».

Notes

[1Le Chevalier de Maison-Rouge, épisode du temps des Girondins, drame en cinq actes et douze tableaux, est rreprésenté pour la première fois à Paris au Théâtre Historique le 3 août 1847.

[2Dans Les Saltimbanques, comédie-parade en trois actes, mêlée de couplets, par MM. Dumersan et Varin, représentée pour la première fois au Théâtre des Variétés, le 25 janvier 1838, le personnage central, le saltimbanque Bilboquet, à la scène 4 de l’acte III, demande au jeune Sosthène de jouer du trombone. À ce dernier qui argue de son ignorance en la matière, il explique : « Il ne s’agit que de souffler. D’ailleurs tu ne feras qu’une note, toujours la même note, et les personnes qui aiment cette note là seront transportées de joie. »

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