2 novembre 1856

Guernesey, 2 novembre 1856, dimanche, 2 h. après-midi.

Mon cœur se tourne vers toi, mon cher adoré, et mes yeux suivent tout naturellement la direction de ta maison, comme si je pouvais évoquer ta présence à force d’amour et faire pénétrer mon regard jusqu’à toi à travers la distance et les murs. Il n’en est^a rien cependant, je le sens à mon impatience et à ma tristesse insurmontables. J’avais compté que tu viendrais de bonne heure aujourd’hui et j’avais envoyé Suzanne préparer tous les feux dans la petite maison, pensant que tu préférerais être là qu’ici et faire profiter la maison du feu dont tu as besoin. Cette précaution ne m’a pas réussi^b jusqu’à présent, nous verrons si je suis plus chanceuse tantôt. En attendant, j’ai sorti^c les deux notes de l’emballeur et les deux lettres de ces deux femmes qui t’écrivent des déclarations à travers moi espérant chacune de leur côté que je donnerai dans leur [godins  ?] et dans leur [godant  ?]. Nous verrons si tu aurais le courage de te débarrasser de ces deux CLOUS [1]… accrochés par le fil de la vierge après votre rédaction HYPERBOLIQUE. Je t’insulte comme je peux, c’est bien fait, tu n’as que ce que tu mérites, ça t’apprendra à avoir des cocottes en partie double et à me prendre mes vierges par-dessus le marché. Cher adoré, je ris pour ne pas te laisser voir l’ombre que cette journée projette sur mon âme. Il me semble que cette date… Te voilà, mon adoré, je baise tes chers petits pieds.
10 h. du soir. Je t’aime, mon Victor, je n’ai pas pu te le dire tout haut tout à l’heure à cause des Préveraud, mais je te le crie maintenant de toute la force de mon âme.

Juju

Bnf, Mss, NAF 16377, f. 266
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette

a) « n’en n’est ».
b) « réussie ».
c) « sortie ».