10 janvier 1871

Paris, 10 janvier [18]71, mardi soir, 2 h.

Si nous n’avions pas les bonnes nouvelles de nos bons petits pigeons, ce^a serait à mourir de froid et d’ennui. Heureusement qu’elles vont, les bonnes nouvelles, s’affirmant de plus en plus, ce qui fait que je regarde l’avenir de la France avec moins d’inquiétude et que mon amour rayonne au plus profond de mon cœur. Je n’ai pas entendu le canon cette nuit. J’espère que Paris aura pu dormir paisiblement cette nuit. Néanmoins les voitures de déménagement se succèdent sans interruption, ce qui prouve que la panique de la rive gauche dure encore. À propos de déménagement, je me suis informée ce matin, ou plutôt j’ai réclamé pour la salle à manger dont nous ne nous servions plus. On m’a fait dire qu’on était convenu avec M^me Charles que le prix de la salle à manger se confondrait avec celui du salon et qu’il n’y aurait aucun dégrèvement pour toi dans ce nouvel arrangement, ainsi que je l’avais prévu tout d’abord. Maintenant te voilà fixé à ce sujet. Il paraît qu’on est fort embarrassé aujourd’hui à l’hôtel pour nous donner à dîner ce soir. Impossible jusqu’à présent, dit-on, de se procurer le plus petit morceau de viande ni de poisson salé. C’est Monsieur Charles qui ne sera pas content ! Le moment est venu de faire et de manger de la philosophie à la croque au sel. Quant à moi je m’y prépare tout doucement afin de contribuer pour ma petite part à l’extinction du dernier Prussien. Beaumanoir buvait son sang [1], moi je vivrai de mon seul amour.

MLVH Bièvres, 130-8-LAS-VH 31 a, b et c
Transcription de Gérard Pouchain

a) « se ».