9 janvier 1871

10 janvier 1871

Paris, 9 janvier [18]71, lundi soir, 3 h.

Cher bien-aimé, je me suis décidée à m’acheter une casaque en tricot de laine sombre que j’ai payée 21 F. 50 c. plus un fichu en laine pour remplacer celui que je t’ai donné et aussi un jupon en tricot de laine. Le temps, plus que frais, justifie du reste cette dépense d’hiver. Je ne sais pas si tu as bien dormi, mais moi je suis sûre de n’avoir pas dormi 2 heures dans toute la nuit grâce au canon qui n’a pas cessé de se faire entendre depuis le moment où je me suis couchée jusqu’au matin. J’espère qu’il a fait plus de bruit que de besogne et que rien de trop douloureux ne viendra troubler les bonnes nouvelles d’hier soir. M^me Charles m’a fait dire qu’elle et son mari dînaient ce soir chez M^me J. Simon dont le fils Charles part demain pour les forts [1]. Je ne sais pas si ton Victor [2] est invité. J’espère pour toi que non. En attendant je pense que Louis [3] viendra à moins que ses douleurs ne l’empêchent^a de profiter de l’honneur de dîner avec toi ce soir. Tout à l’heure j’avais auprès de moi Petit Georges et petite Jeanne. J’ai regretté qu’elle ne fût pas seule pour lui donner un des deux œufs de Burty car elle me paraissait avoir faim. Si elle revient ce soir, sans son frère, je te donnerai la joie de lui faire manger toi-même son coco. Pauvre petit Georges, ce n’est pas de ma faute si les œufs sont si rares et sa sœur si délicate. Mon bonheur serait de les gaver également tous les deux des choses qu’ils aiment et qui sont utiles^b à leur santé.
Je t’aime.