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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 24 juillet [18]64, dimanche, 2 h. ½ après-midi

Que je vous voueille m’ôter ma pauvre petite [illis.] de café, vilain que vous êtes, et vous aurez affaire à moi, après m’avoir dépouillée de tous mes doux privilèges de copiste en chef [1] et sans partage vous voulez encore m’enlever ce pauvre petit droit de rien du tout ? Mais je tiens votre cafetière et je la garde, ATTRAPÉ, et j’amènerai ROBERT si vous dites un seul mot là-dessus. Tenez-vous pour averti car je vous ficherai des bons coups à la première objection. Notre pauvre petit agonisant [2] n’est pas encore mort mais il n’en vaut guère mieux, malgré tous les soins que lui donne Suzanne. Elle a imaginé de le fourrer dans une sorte de gaine d’étoupea sous laquelle elle a mis une brique chaude ; cette espèce de daube anticipée ne paraît pas lui nuire jusqu’à présent. Espérons que le pauvre petit s’en tirera.
On sonne. C’est le docteur Corbin qui vient savoir l’effet de ses pilulesb. Je monte et je reviens, à tout à l’heure. Me revoilà, hélas ! avec la perspective de plusieurs boulettes à l’horizon. Pour peu que je reste encore quelque temps dans ce pays j’absorberai toute la pharmacie guernesiaise. Cet avenir ne me fait pas rire et j’aimerais mieux m’en aller. C’est peut-être le moyen sournois que le docteur emploie pour me forcer à hâter notre départ car il n’en démord pas, de ce départ précipité. Je lui ai redit que cela était impossible avant le 10 août, ce qui paraît le contrarier très fort. Enfin il faudra bien qu’il en prenne son parti mais ce n’est pas une raison pour qu’il me bourre tous les jours de boulettes comme il le fait. Du reste je suis très fatiguée et c’est à peine si j’ai le courage de me lever d’une chaise pour aller à l’autre. Je viens de manger une petite soupe sans aucune graisse et cependant je la sens lourde et brûlante sur mon estomac. Corbin me conseille l’usage de poivre de… Cayenne, rien que cela ! Il prétend que ce poivre-là fait moins de mal que le poivre ordinaire et stimulerait mon estomac paresseux. Malgré son assurance je ne m’y fierais pas. J’aime mieux le remède du voyage, c’est plus sûr et surtout plus agréable [3]. En attendant je vous adore et je vous baise de toute mon âme.

BnF Mss, NAF 16385, f. 197
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « étouppe ».
b) « pilulles ».

Notes

[1Juliette Drouet se trouve écartée petit à petit de l’exercice de « copire » qu’elle aime tant à cause de son écriture qui devient de moins en moins lisible, et de sa santé fragile.

[2On ne sait de quel petit animal il s’agit.

[3Juliette sera exaucée : elle partira en voyage avec Victor le 15 août.

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