Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1838 > Août > 29

29 août [1838] [1], mercredi matin, 9 h. ¾

Le bonjour a remplacé le baiser, la lettre le bonheur, le mauvais temps le beau soleil, les larmes dans les yeux la joie dans le cœur. Je suis seule et triste. Il me semble que le bonheur et la joie sont morts à tout jamais pour moi. Je ne sens plus vivre en moi que mon amour. Je t’aime plus que jamais et avec la douloureuse conviction que notre bonheur est fini. C’est peut-être une triste illusion dont mon pauvre cœur est la dupe. Je le souhaite mais je ne l’espère pas, pauvre ami. Tu as déjà endossé aussi ton colliera de misère mais pour toi ce collier-là devient, quand il te touche, un collier de diamants et de gloire. Tu as beau vouloir te faire homme comme tous ces hideux humains, ta matière divine perce toujours. Il n’y a que tes pieds qui touchent la terre, ta tête reste toujours dans le ciel. Le bonheur pour toi, c’est de découvrir de nouveaux astres ou d’en créer de plus beaux et de plus lumineux que ceux du bon Dieu. Moi, je n’en ai pas d’autre que de t’aimer et de te voir, c’est pour cela que je suis si souvent triste et découragée quand toi tu es heureux et victorieux. Je ne t’attends pas ce matin, mon cher adoré, je sais tout ce que tu as à faire mais je te désire de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16335, f. 181-182
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain
[Souchon, Blewer]

a) « colier ».


29 août [1838], mercredi soir, 10 h. ¼

J’ai employé mon temps jusqu’à présent, mon adoré, en ne prenant que le temps de dîner. J’espérais toujours que tu viendrais, c’est ce qui me donnait du cœur à l’ouvrage mais à présent que je n’espère plus, je suis triste et fatiguée. Il est probable que tu auras conduit toute ta famille à la fête ce soir ? Je ne t’en veux pas, mon Dieu, mais je lui envie cette soirée comme je lui envierai tous les moments que tu passeras avec elle. Tu as été bien bon avec moi tantôt, pauvre bien aimé. Je sens bien tous les efforts que tu fais pour me dissimuler un affront, ou me [illis.] un chagrin. Je les apprécie bien, va et quand, malgré toutes les peines que tu prends, la honte ou la douleur arrive jusqu’à moi, je rends bien justice à ta loyauté et à ton dévouement sans bornes. Je t’aime, mon Victor, plus que je ne puis le dire. Je t’aime avec les sens et avec l’âme. Je t’aime comme mon amant et comme mon Dieu. Tu es tout pour moi, tu es l’amour et la religion. Je voudrais te voir pour baiser tes pieds adorés.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16335, f. 183-184
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain

Notes

[1Ils sont rentrés la veille de leur voyage en Champagne. Hugo a immédiatement rencontré Anténor Joly, directeur du Théâtre de la Renaissance, à qui Mme Hugo, le 19 août, a expressément demandé de ne pas laisser son mari attribuer à Juliette le rôle de la Reine. Juliette a beau n’en rien savoir, le vague à l’âme qu’elle exprime dans cette lettre est prémonitoire !

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne