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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 juin 1838

19 juin, mardi matin, 11 h. ½

Jour mon petit bien-aimé, jour mon petit homme. Comment vas-tu ce matin, mon CHER AMI ? Il paraît que la bonne résolution de cette nuit n’a pas tenu pour ce matin ? Aussi je vais déjeuner seule comme un loup. Je vous aime, mon petit homme, vous le savez et vous en abusez. Il pleut ce matin pour faire diversion à la pluie d’hier. Encore si on avait la mer pour se dédommager de ce temps hideux, ce ne serait que demia-mal mais avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de prendre le quatrième étage des maisons badigeonnées pour une falaise, les punaises qui y grouillent pour des mouettes et des cormorans, enfin le ruisseau de la rue, malgré les pluies qui le grossissent, n’a pas non plus un air très océanique. Je suis donc très vexée d’être confinée dans la rue Sainte-Anastase avec l’horizon susmentionné et vous absent, plutôt que d’être sur les galets de Saint-Valeryb attendant qu’il vous plaise de me faire déjeuner AU GRAND CERF [1]. Décidément j’aime mieux les belles choses que les laides, les bonnes que les mauvaises, le bonheur que le malheur, votre personne adorée à rien. Je ne suis pas bête comme vous voyez. Tiens ! Voici qu’on m’annonce que ma crème a tournéc, ce qui me force à avoir beaucoup de génie d’invention pour me reconstruire un autre déjeuner, attendu que mon garde-manger est complètementd démeublé. Si vous étiez là encore, je vous croquerais mais vous vous en donnez bien de garde, il faut donc que j’avise autre chose et que je vous baise.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16334, f. 284-285
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain

a) « demie mal ».
b) « Saint-Valry ».
c) « à tournée ».
d) « complettement ».


19 juin, mardi soir, 7 h. ¾

Ta complaisance, mon amour, n’aura servia à rien car mon mal de tête va toujours croissant. Pour peu qu’il persiste j’aurai la même migraine qu’il y a un mois. Je n’en peux plus, pense à moi, mon petit homme, si tu peux, et viens me chercher de bonne heure, si ton travail te le permet. Je t’aime, mon Toto, tous les jours davantage car j’apprécie de plus en plus ta bonté ravissante et ta beauté surhumaine. Je t’aime de toute la puissance de mon âme, mon cher petit homme. Ne t’étonne pas si ma lettre est encore plus bête qu’à l’ordinaire, j’ai une calotte de stupidité qui me fait souffrir atrocement. J’ai même bien du mérite, mon bon ange, à trouver la force de t’écrire dans un moment où je souffre horriblement. Soir pa, soir man. Je vous écris sur du papier rongé par ma méchanceté mais recouvert par tant d’amour que ça ne se voit plus. Mes douleurs sont si violentes que je suis forcée de m’interrompre à chaque instant pour reprendre haleine. Si le dîner que je vais prendre ne me réussit pas, je ne sais pas ce que je deviendrai. En attendant, mon petit homme, je t’aime, je te désire, je t’attends, je baise vos petites mains et votre belle bouche.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16334, f. 286-287
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain

a) « servie ».

Notes

[1Le 7 août 1835, Juliette et Victor Hugo sont descendus à l’hôtel du Grand Cerf, ou hôtel Picard. Détruit en 1944, cet hôtel se situerait à l’emplacement de l’Hôtel de Ville.

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