13 février 1873

Guernesey, 13 février [18]73, jeudi matin, 7 h. ¾

Levé avant moi, mon cher adoré ! Ça n’est pas de jeu ! Mais cela prouve au moins que ta nuit a été meilleure que la mienne, ce qui me console un peu d’avoir manqué notre cher petit rendez-vous. Cela m’apprendra une autre fois à ne pas m’indulger sous prétexte de ceci, de cela et de bien autre chose.
Heureusement j’ai tant de motifs de me réjouir pour toi en ce moment que je fais sans trop d’efforts le sacrifice de mon bonheur personnel ce matin. D’abord, ton cher petit Victor [1] va de mieux en mieux et tes chers petits enfants sont de plus en plus adorables ; le succès de Marion [2], déjà dans les étoiles, va toujours grandissant ! Il faudrait être vraiment par trop exigeant si on n’était pas content et heureux avec tout cela. Ce qui me chiffonne en mon particulier, c’est la nécessité de répondre aux deux lettres de MM. d’Alton-Shée et Robelin ; à moins que tu ne me viennes en aide je ne vois pas moyen de m’en tirer. Mais comme je sais à quel point ce genre de corvée te fatigue et t’embête je prends tout de suite le parti de renoncer à épistoler avec ces messieurs. Je chargerai ma vieille goutte émissaire de ce crime de lèse-politesse^a et il n’en sera que ça. Voilà, mon cher adoré, de quelle façon bête je tranche les difficultés. Personne n’y perd et moi j’y gagne de ne pas mettre ma plume à l’envers pour chercher de l’esprit là où il n’y en a pas. Qu’avez-vous à dire à cela ? Voyons à présent votre style !
En attendant je me goberge de toutes vos bonnes nouvelles et je me pare de votre succès, mon amour m’en donne le droit.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 42
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette

a) « lèze-politesse ».