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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 juin 1846

18 juin [1846], jeudi après-midi, 1 h.

Quel affreux tangage, mon doux bien-aimé, que celui dans lequel ma pauvre âme est ballottéea depuis le jour où ma fille a pris le lit. Cette nuit j’ai cru que c’était la dernière pour elle. Aujourd’hui je ne suis pas plus rassurée car la diarrhéeb qui a commencé cette nuit avec violence ne l’a pas quittée. J’ai envoyé Eugénie ce matin à 6 h. chez M. Pradier pour lui faire part des progrès que cette affreuse maladie a faits en une nuit, et pour lui dire de m’envoyer tout de suite son médecin, ce que voyant il a chargé Eugénie d’aller trouver tout de suite cette espèce de médecin, lequel a répondu qu’il viendrait par égard pour M. Pradier, mais qu’il ne pensait pas qu’on eût assez de temps devant soi, même pour essayer l’effet de ses remèdes, du reste, peu importait quelques heures de plus ou de moins, et qu’il ferait son possible pour venir dans la journée. Le médecin d’Auteuil, que j’ai vu hier au soir, m’a dit à peu près la même chose. Il croit ma fille arrivée à la dernière période de la maladie. Que te dirais-je de plus triste et de plus désespérant, mon Victor adoré, après tous ces affreux détails dans lesquels je ne peux pas m’empêcher d’entrer quoiqu’ils me brisent le cœur ? Cette nuit déjà sa langue et ses idées étaient embarrassées et ce matin à neuf heures, toutes les fenêtres ouvertes, elle paraissait calme et parfaitement éveillée, elle a divagué deux fois. Et puis enfin, sentant que sa langue ne pouvait plus articuler, elle a dit brusquement : — et puis je ne sais plus. Ô mon bien-aimé adoré, Dieu te garde à tout jamais et si le bon Dieu prenait en considération mon malheur, il garderait encore avec toi toutes les autres mères de l’affreuse épreuve à laquelle il m’a condamnée. Je ne sais pas ce que je t’écris, mon Victor adoré. Je m’interrompsb presque à chaque lettre de chaque mot. Je sais que je suis la plus malheureuse et la plus à plaindre des mères, mais je sens que je t’aime plus que jamais.

J. Droüet [1]

BnF, Mss, NAF 16363, f. 167-168
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « balottée ».
b) « diarhée ».
c) « interrompts ».

Notes

[1Juliette ne signe presque jamais de son patronyme quand elle écrit à Hugo. Cette signature donne à cette lettre poignante une dimension solennelle particulière, quasi testamentaire. On remarque le tréma sur le « ü », adopté par Juliette Drouet sur les papiers officiels, à la suite de son oncle qui signait René-Henry Droüet.

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