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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 mai 1847

18 mai [1847], mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon Victor bien-aimé, bonjour mon adoré. J’ai bien regretté et je regrette encore bien [deux ou trois mots illis.] que tu n’aies pas pensé à me donner une loge pour Marion hier, après le bonheur de te voir, bonheur de plus en plus rare. Hélas ! il n’y en a pas pour moi de plus doux et de plus grand que de voir et d’entendre tes admirables pièces. Tu le sais bien pourtant et je ne comprends pas pourquoi tu m’as privée hier du plaisir de t’admirer et de t’applaudir. Vous êtes une bête taisez-vous !
J’espère que tu auras enfin retrouvé tes lettres chez toi ? Quant à l’adresse d’Eugénie je crois que c’est rue du Dragon n° 9. Cependant je n’en suis pas parfaitement sûre. D’un autre côté on ne peut pas lui adresser la lettre de Ziegler chez M. Vilain. Je ne peux pas non plus me charger de la lui remettre. Car, outre les tristes informations qu’elle contient, je veux et je dois plus que jamais rester étrangère à tout ce qui la regarde. C’est plus que de la prudence qu’il faut que j’apporte dans mes relations avec elle après l’odieuse perfidie dont elle s’est rendue si gratuitement coupable envers moi [1]. Et pourtant Dieu sait avec quel sentiment de profonde et de généreuse pitié je l’avais accueillie. Cher bien-aimé toi seul restesa dans la splendeur et la majesté de ta divine et sublime bonté, depuis quinze ans bientôt que je t’aime je n’ai jamais rien trouvé en toi qui ne fût ineffablement bon et généreux, noble et grand, aussi mon amour loin de s’affaiblir a-t-il été toujours en augmentant et en [illis.]. À l’heure qu’il est je t’aime sur la terre comme les anges doivent aimer Dieu dans le ciel.

Juliette

MVH, α 7905
Transcription de Nicole Savy

a) « reste ».


18 mai [1847], mardi après-midi, 1 h. ½

Je m’apprête à aller te chercher tantôt, mon Victor chéri. Je voudrais déjà que l’heure fût venue tant j’ai hâte de te voir et besoin de t’embrasser. C’est une avidité de mon cœur, une faim de mon âme que rien ne peut apaisera. Je voudrais dévorer tout le bonheur qui me reste en un jour et puis mourir. Tu ne comprends pas cette impatience-là, toi, mon cher petit refroidi mais pour moi je sens que je dis à peine ce que j’éprouve en te parlant ainsi. Pour me faire prendre patience et courage, je refais dans mes souvenirs toute la route de bonheur et d’amour que nous avons parcourue ensemble depuis plus de quatorze ans, m’arrêtant au moindre petit incident pour faire durer le plaisir plus longtemps, recueillant dans ma pensée tous les baisers et toutes les caresses que nous avons répandus sur tous les chemins et jetés à tous les vents ; revoyant, des yeux de l’âme, l’empreinte de ton cher petit pied dans tous les sentiers où tu as marché. J’entends encore le chant des oiseaux que tu écoutais ; je respire les fleurs que tu as cueillies ; j’admire les horizons lointains et les beaux nuages d’or que tu aimais tant. Hélas ! je tâche de revivre dans le passé la vie d’amour que je ne peux plusb espérer dans l’avenir. C’est tout à la fois doux et triste, c’est l’image d’un bonheur qui ne reviendra plus pour moi. Et pourtant je vis et je t’aime. Mes yeux cherchent tes yeux, ma lèvre appelle ta lèvre, ma pensée te suit partout et mon âme s’épanouitc de ravissement quand je te vois. Comment à travers tant d’obstacles qui devaient le retenir le bonheur s’était enfui comme d’une cage laissée ouverte par l’indifférence ou l’oubli ? Le bon Dieu seul le sait.

Juliette

MVH, α 7906
Transcription de Nicole Savy

a) « appaiser ».
b) Juliette omet le verbe et écrit « je ne plus ».
c) « s’épanouie ».

Notes

[1Voir la lettre du 15 mars, où Juliette raconte les médisances d’Eugénie sur son compte, relayées par Mme Rivière et sa fille.

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