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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 avril [1847], dimanche, 9 h. ¾

Je suis toute confuse, mon pauvre bien-aimé adoré, de l’accueil que je t’ai fait cette nuit, comme si c’était de ma faute. Je m’en veux de n’avoir pas eu la force de secouer cet effroyable malaise qui m’opprimait et m’aplatissaita dans mon lit comme une bête. Pourtant Dieu sait que ce n’était pas l’envie qui me manquait. Aujourd’hui, je ne sais pas ce que cela deviendra mais j’ai un mal de tête effroyable. Mais aujourd’hui j’ai mon temps à moi et je peux me passer la fantaisie de souffrir sans en punir mon cœur, tandis que cette nuit ce n’était pas comme cela. Enfin on ne choisit pas ces moments, car sans cela je garderais toute ma santé et toute ma liberté de corps et d’esprit pour quand tu es là. À propos de liberté de corps cette phrase sent furieusement la jargonnerie. Je vous prie de ne pas l’interpréter ainsi parce que cela n’est pas le sens propre que j’ai voulu lui donner.
Vous voyez que votre vilain papier ne me fait pas peur et que je le gribouille avec la même facilité que s’il était pur vélin. Attrapéb ! Mon style est trop au-dessus de ces mesquines délicatesses pour en être influencé. Ce n’est pas comme vous à qui il faut des tas de choses et même un secrétaire pour écrire le moindre billet. Taisez-vous et rougissez mais baisez-moi et aimez-moi.

Juliette

MVH, α 7889
Transcription de Nicole Savy

a) « applatissait ».
b) « attrappé ».


25 avril [1847], dimanche après-midi, 2 h.

Quel beau temps, mon petit homme adoré, et quel dommage que nous ne puissions pas courir les monts et la plaine bras dessus, bras dessous. Cela me serait pourtant bien agréable. Hélas ce n’est pas pour nous que le soleil reluit, pour moi du moins. Mais je ne veux pas être grognon et je renfonce ma tristesse tout au fond.
Eulalie est venue ce matin cherchera sa cathédrale [1]. En même temps je me suis informée à elle de la fête de la Chandeleur. C’est bien la purification de la Vierge, elle a lieu le 2 février et voici ce que dit Mathieu Laensberg à ce sujet : que le soleil luise ou hiberne………… l’ours rentre dans sa caverne [2], ce qui fait qu’on a pendant six semaines un froid de loup. Tu vois que je n’oublie pas de faire tes commissions. Hier j’ai écrit ce que je sais sur les boîtes [3].

Deux heures ¾ interrompue par Clémentine et Toto……b

Quelle nécessité d’aller à cette commission ? Il n’y en a pas d’autre évidemment que de m’éviter et de rester avec moi le moins possible. C’est clair comme le jour. Aussi soyez tranquille je ficherai mon campc si loin que vous aurez de bonnes jambes si vous me rattrapezd. Taisez-vous barbare homme vilain monstre.
Je n’aurais pas mieux demandé que de garder Clémentine à dîner mais cela n’est plus possible depuis qu’elle est dans cette maison. J’en suis réduite à voir tourner mon ombre sur les pieds sans un pauvre être qui s’intéresse à moi. Pardon mon Victore cette injuste et amère plaisanterie. Je reconnais que je n’ai pas le droit de me plaindre si tu m’aimes, ce que j’espère de toutes mes forces et je crois de tout mon cœur.

Juliette

MVH, α 7890
Transcription de Nicole Savy

a) « cherché ».
b) Les points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.
c) « camps ».
d) « rattrappez ».
e) Ici Juliette oublie « pour » ou « de ».

Notes

[1On peut présumer qu’il s’agit d’un dessin de Victor Hugo.

[2Mathieu Laensberg est l’auteur présumé du très populaire Almanach de Liège, constamment réédité depuis le XVIIe siècle et somme de superstitions et croyances astrologiques, astronomiques et médicales. Cette remarque de Juliette Drouet a vraisemblablement inspiré à Hugo ce passage des Misérables (III, 8, 2), composé en novembre-décembre 1847 :
« Un jour de cet hiver-là, le soleil s’était un peu montré dans l’après-midi, mais c’était le 2 février, cet antique jour de la Chandeleur dont le soleil traître, précurseur d’un froid de six semaines, a inspiré à Mathieu Laensberg ces deux vers restés justement classiques :
Qu’il luise ou qu’il luiserne,
L’ours rentre en sa caverne. » (Remerciements à Guy Rosa).

[3Dans Les Misérables (III, 8, 19), Thénardier fait un long développement sur la technique du « cartonnage fin ». Hugo a-t-il demandé à Juliette Drouet de noter ses connaissances sur cette technique ?
(Remerciements à Guy Rosa).

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