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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 avril [1847], lundi matin, 10 h ½.

Bonjour, mon Victor, bonjour mon bien-aimé, bonjour. Comment vas-tu ? Je devrais peut-être me borner à ce bonjour car mon baromètre est à la pluie. Mais, comme nous sommes dans la lune rousse, il faut que tu en subisses toutes les conséquences. Peut-être attraperas-tua dans toutes ces giboulées de mon humeur irascible quelques rayons de l’amour qui m’emplit le cœur [1] comme un soleil. C’est dans cet espoir que je te gribouille ce tas de fariboles. Depuis ce matin j’ai Duval et un garçon jardinier qui bouscule et retourne le gazon dans l’espoir, peu fondé, d’en faire pousser un autre plus touffu. En même temps on mettra le terreau sur les corbeilles et dans les massifs et puis on remettra du sable dans les allées [2]. Tout ceci va me coûter quelque chose comme plus de vingt francs. Il est vrai que ce sera pour toute l’année. Enfin, si cela pouvait réussir, je ne les regretterais pas, mais j’en doute beaucoup, voilà ce qui me vexe. Mon Victor bien-aimé, je suis maussade mais je t’aime. Je suis grognon mais je t’aime. Je suis méchante mais je t’adore. Je suis traversée par toutes sortes de vilaines pensées qui crèvent à des intervalles irréguliers comme les nuages du ciel et qui font pleuvoir sur ta vie la jalousie, les soupçons et les regrets qu’elles contiennent. Mais, je te le répète, mon amour reste au fond de mon cœur et n’en paraît que plus ardent après ces petites crises atmosphériques.
Quand tu viendras, je brillerai de tout mon bonheur et tu ne t’apercevrasb pas de l’ennui et de l’impatience qui m’a assombrie et attristée depuis que tu m’as quittée. Tâche de venir bien vite et pense à moi pour que je le sente à travers la distance qui nous sépare et que j’en sois moins malheureuse. Jour, Toto, jour, mon cher petit o. Il dépend de vous de faire reluire mon soleil et même ma lune, ce que vous ne dédaigniez pas de faire autrefois. En attendant, je vous baise et je vous adore.

Juliette

Harvard
[Barnett et Pouchain]

a) « attrapperas-tu ».
b) « appercevras ».

Notes

[1Lucrèce Borgia (acte III, scène 1) :
« — La Negroni 
Mon Dieu ! qu’est-ce qui remplit tout le cœur ?
— Maffio 
L’amour. »

[2Le logement de Juliette dispose d’ « un petit jardin à fleurs et à fruits. » (Lettre de Juliette Drouet à Victor Hugo, 14 août 1844)

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