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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 17 février 1877, samedi matin, 8 h.

Cher bien-aimé, il a fallu qu’il y eût bien des embarras de charrettes autour de moi pour m’empêcher de répondre séance tenante à ton adorable page consacrant pour la quarante-quatrième fois l’anniversaire de notre amour [1]. J’ai essayé de t’écrire avant de me coucher, mais mes pauvres yeux ne l’ont pas permis. Aussi me suis-je levée tout à l’heure afin de te donner ma pensée, mon cœur, mon âme avant de me mêler à la vie domestique, et me voilà en prière devant Dieu afin qu’il te conserve la vie et la santé jusque par delà la vie ordinaire des hommes, et à genoux devant toi pour que tu me conserves ton amour au-delà de la vie terrestre et pendant l’éternité de nos deux âmes. Si je pouvais te dire autant que je le sens combien je t’aime, tu comprendrais que l’éternité toute entière sera à peine suffisante pour te donner une faible partie de mon amour.
J’ai déjà lu et relu bien des fois depuis hier les divins mots que tu as écrits dans mon cher livre rouge, tabernacle de ton cœur et du mien, mais, avant de le refermer, je veux les relire encore ainsi que toutes les pages anniversaires qu’il contient. J’espère que la collation avec le bon Lesclide m’en laissera le temps aujourd’hui. Je baise tes pieds avec adoration.

BnF, Mss, NAF 16398, f. 49
Transcription de Guy Rosa
[Pouchain]


Paris, 17 février [18]77, samedi, 11 h. du m.

C’est encore moi ; moi partout ; moi toujours ; je t’en avais comblé, de restitus, je t’en veux accabler [2] ; tant pis ! ça vous apprendra à vous faire trop aimer : attrapé ! Et puis il fait un temps à rendre amoureux même les pierres, à plus forte raison votre pauvre Juju qui ne fait pas autre chose que vous adorer depuis la nuit du 16 au 17 février 1833. Nuit à jamais bénie ! J’ai eu une fameuse chance tout à l’heure que tu aies été forcé de descendre de ta chambre dans la mienne ! Aussi je m’en réjouis jusque dans les profondeurs de mon âme. Je ne te demande pas de sortir tantôt parce que je te vois trop en train de travailler, mais dès que ce sera possible, je serai bien heureuse de respirer le grand air avec toi. En attendant, nous avons une recrudescence de sénateurs ce soir dans la personne de Scheurer-Kestner.
Quant à vous, je vous adore.

BnF, Mss, NAF 16398, f. 50
Transcription de Guy Rosa
[Pouchain]

Notes

[1Voici ce que Hugo lui a écrit : « Je t’aime. Ce mot est la plus profonde des bénédictions. Mon âme le dit à ton âme. Après quarante-quatre ans, ce doux anniversaire nous retrouve vivant l’un pour l’autre de cette vie immortelle, l’amour. À mesure qu’on avance dans les années, l’âge dégage l’amour de la chair, et l’engage plus avant dans l’âme ; si bien que le cœur et l’âme finissent par se confondre dans une sorte d’unité indestructible qui sera toute la vie future. Il n’y a pas de mois pour l’amour. Ayons foi dans ce grand avenir où nos anges nous attendent. Ma bien-aimée, je baise tes pieds sur la terre et tes ailes dans le ciel. Et que mon premier mot soit le dernier : je t’aime. » (Victor Hugo et Juliette Drouet, 50 ans de lettres d’amour, édition de Gérard Pouchain, édition citée, p. 207-208) 

[2Citation arrangée de Cinna, V, 3.

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