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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 février [1847], lundi matin, 11 h. ¾

Bonjour mon Toto, bonjour vous, bonjour toi, comment écris-tu : Je t’haïme, académicien ?.... Reviens-y encore, pÔlisson, et puis tu verras comment je te tirerai le nez tout bonnement. Je ne veux pas qu’on me manque de respect, entendez-vous. Je ne veux pas qu’on se moque de moi, qu’on m’asticote et qu’on me fasse bisquer. Je n’ai pas besoin qu’on se fiche de moi à mon nez. Ah ! mais je m’y oppose et je vous grifferai de la bonne manière et puis vous verrez si ça sera drôle après.
Tu m’as quittée de bien bonne heure hier, mon Toto bien-aimé, cependant ce serait le cas de me faire bonne mesure, puisque tu ne dois pas revenir dans la nuit. Qu’as-tu fait dans toute la soirée ? As-tu été bien empressé, bien aimable, bien charmant, bien coquet et bien galant auprès des femmes décolletées ? Je t’adresse cette question pour la forme car je ne sais que trop tout ce que tu as fait et pu faire, et je n’en suis ni plus fière ni plus contente pour cela, bien au contraire, mais je ne veux pas grogner, je ne veux pas t’ennuyer, je veux être geaie et aimable au risque de tenter l’impossible. Peut-être d’ailleurs me tiendras-tu compte de ma bonne volonté autant que si ça était réellement.
J’ai vu M. Vilain un instant hier. Je lui ai dit ce que tu pensais à propos de la visite du prince. Il m’a priée de t’en bien remercier pour lui. Quant à moi, je te tourmente jusqu’à la satiété mais le motif en est si bon que je suis bien sûre que tu ne m’en veux pas. N’est-ce pas que j’ai raison ? C’est que tu es si vraiment bon, toi, si vraiment généreux qu’il faudrait aller bien loin pour en trouver le bout. Aussi je suis tranquille de ce côté-là. Je voudrais l’être autant du côté des tableaux vivants [1] et des lithographies en action et à domicile. Je ne serais pas si souvent maussade et aussi souvent tourmentée. Malheureusement vous n’êtes pas aussi sage que vous êtes bon, tant s’en faut. Taisez-vous, scélérat, vous savez bien que ce que je dis est vrai. Mais ce que vous ne savez pas assez c’est que je vous tuerai net comme Dominus. Baisez-moi et tremblez.

Juliette

MVH, α 7851
Transcription d’Evelyn Blewer
[Blewer]

Notes

[1Hugo raconte dans Choses vues, qu’il a été introduit dans les coulisses d’un spectacle de tableaux vivants par le régisseur Villemot, à la Porte-Saint-Martin, à l’époque où l’on allait y reprendre Lucrèce Borgia : « Il me fit pénétrer dans un espace disposé derrière la toile, et éclairé par une herse et force portants. Il y avait là une vingtaine d’hommes qui allaient, venaient, travaillaient ou regardaient, auteurs, acteurs, pompiers, lampistes, machinistes, et au milieu de ces hommes, sept des femmes absolument nues allant et venant aussi avec l’air de la plus naïve tranquillité. » (édition de Franck Laurent, Livre de Poche, 2013, p. 138). La troupe venait d’Angleterre.

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