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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 janvier [1847], mardi après-midi, 3 h.

Je t’envoie mille baisers au risque de tomber dans un moment inopportuna et de vous faire perdre une œillade d’une belle dame de tribune, ou une loustiquerie de Boissy. Je t’envoie ma pensée toute chargée d’amour, de désir et d’impatience pour te faire venir dès que tu auras fini ta tâche de Pair de France. Que ne puis-je t’envoyer de même mes yeux qui te cherchent, ma bouche qui soupire après la tienne et tout mon corps qui languit et qui souffre loin de toi.
Eugénie est venue et a emportéb sa première loge de six places avec des cris de joie et de bonheur [1]. Ce que j’avais supposé s’estc trouvé vrai. Elle comptait sur ta générosité pour faire une politesse à M. Gillet-Damitted ainsi qu’à son auguste épouse. Aussi cela s’estc admirablement trouvé aujourd’hui. C’est donc avec toute cette famille qu’elle ira ce soir applaudir et admirer Lucrèce. Du reste le Villemote s’estc très bien exécuté et tu as tout ce que tu as demandé pour demain. Pauvre doux être charmant et si ineffablement bon, je t’en remercie du fond de l’âme pour ma part mais je ne saurais t’en aimer davantage car je ne peux pas aller plus loin que l’infini.
Quand tu pourras me donner à espérer tu me feras une grande joie. Il me semble que je suis moins séparée de toi quand je suis avec ta pensée. Je ne souffre plus de ton absence, je t’attends, je te désire et je t’espère mais sans amertume et sans chagrin. Aussi je te supplie de me donner le plus que tu pourras à copier. En attendant, je fais tout ce que je peux pour être calme et résignée. Tu m’as promis de revenir tantôt dès que la séance serait finie, cet espoir suffit pour me donner du courage. Tu vois que je fais bien tout ce que je peux pour ne pas te tourmenter et pour être heureuse. Ce n’est pas ma faute si je n’y réussis pas toujours.
Je me suis aperçue trop tard que j’avais pris mon papier à l’envers. Heureusement que tu n’y tiens pas. Pourvu que je t’aime, peu t’importe, et à moi encore davantage d’ailleurs, l’amour s’accommode très bien de toutes les bévues et il lui est aussi facile de marcher sur la tête que sur les pieds. Pourvu qu’on le laisse aller dans le cœur où il veut aller, cela lui est égal. Tu es bon toi, je t’aime. Tu es beau toi, je t’admire, tu es mon Toto toujours plus aimé et plus adoré, je voudrais baiser tes pieds. Tâche de revenir ce soir de bonne heuref et je serai bien heureuse. D’ici là je vais ne penser qu’à toi et te désirer de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 17-18
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « inoportun ».
b) « à emporter ».
c) « c’est ».
d) « M. Gilet-Damitte ».
e) « Vilmot ».
f) Par un charmant lapsus anticipant sur la fin de sa phrase, Juliette a écrit « de bonne heureuse ».

Notes

[1Il s’agit vraisemblablement d’une loge pour la reprise de Lucrèce Borgia à la Porte-Saint-Martin, dont la première a eu lieu le 23 janvier.

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