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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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31 mai [1846], dimanche après-midi, 2 h. ½

Je n’ai pas encore pu t’écrire, mon doux bien-aimé, et cependant mon cœur et ma pensée sont pleins de toi. Je t’aime comme si je n’avais pas l’esprit rempli des plus tristes et des plus douloureuses craintes. Je t’aime comme on doit aimer au ciel. Je t’aime d’un amour sans partage et incommensurable. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.
La nuit a été on ne peut pas plus mauvaise pour cette pauvre enfant et pour nous. Dans ce moment elle est levée mais elle n’a aucune force. Je crois même que loin d’augmenter, elle diminue tous les jours. J’ai l’âme navrée en y songeant. Pour m’arracher à cette affreuse préoccupationa je pense à toi et je t’aime comme les cœurs pieux aiment Dieu et se recommandent à lui au jour du danger....... b
Je viens de la coucher, cette pauvre bien-aimée. J’ai été obligée de la prendre dans mes bras pour la mettre dans son lit, sans cela elle serait tombée à terre. Quel affreux spectacle que celui de son enfant malade. Je n’ose pas achever ma pensée tant elle est triste. J’ai le cœur noyé de toutes les larmes que mes yeux refoulent au dedans de moi. Je suis bien triste et bien malheureuse, mon Victor, et j’ai bien besoin que tu viennes me redonner du courage mon doux, mon noble, mon divin bien-aimé. J’espère que tu viendras tout à l’heure. Ô je l’espère autant que je t’aime. En rentrant hier soir j’ai trouvé l’institutrice et Charlotte qui étaient venues voir Claire de la part du père. J’ai profité de cette visite pour lui écrire tout ce que tu venais de me dire de si généreux et de si bienveillant pour ses intérêts [1]. Je lui ai écrit de t’envoyer tous les renseignements qui peuvent le servir. Il en fera ce qu’il voudra. Seulement s’il n’est pas sincère, comme ce n’est que trop probable, il mâchera des pois chauds [2] et se tirera de là par des billevesées comme à l’ordinaire. Quant à toi, mon loyal, mon généreux homme, je ne peux que t’aimer et t’admirer de toute mon âme sans avoir jamais l’espoir de te rendre une parcelle de tout le bien que tu me fais. Je baise la trace de tes pas. Je voudrais te donner tout mon sang goutte à goutte et ma vie dans un baiser. Je t’attends mon Victor adoré. J’espère que tu viendras. J’en ai plus besoin que jamais.

Juliette

BnF,Mss,NAF 16363,f. 113-114
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « préocupation ».
b) Sept points de suspension.

Notes

[1À élucider.

[2Manger des pois chauds : ne savoir que répondre.

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