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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 mai 1846

13 mai [1846], mercredi matin, 8 h. ½

Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour mon âme, bonjour ma joie, bonjour toi. Je t’aime. Je n’ai pas eu le temps hier de te supplier de m’écrire si tu ne pouvais pas venir mais c’est sous-entendu, j’espère et tu m’écriras une bonne petite lettre dans le cas où tu ne pourrais pas venir aujourd’hui. J’ai toutes les peines, même avec le secours de tes adorables tendresses, à attendre ton retour jusqu’au lendemain avec courage et résignation. Tu ne sais pas, mon bien-aimé, tu ne peux pas savoir à quel point tu es ma vie. Un des regrets qui s’ajoute à tous ceux que j’ai en me séparant de toi est de ne pouvoir pas suivre ta voiture des yeux jusqu’à ce qu’il ne me soit plus possible de l’apercevoir. Mais les stupides badauds qui pullulent à cet endroit m’en empêchent par leur injurieuse curiosité. Je suis forcée, quelques regrets qu’il m’en coûte, de m’éloigner pendant que tu t’en vas et de hâter malgré moi le moment où je ne peux plus te voir. Il y a des gens féroces à force de stupidité. J’en fais au-dehors et chez moi-même la douloureuse expérience chaque fois que je te reconduis et que je reçois M. Pradier. Sa pauvre fille est toujours dans le même état, plus faible et plus abattue que jamais. Elle a passé une nuit tranquille à partir de minuit ; jusque là nous ne nous sommes pas couchées. Ce matin je n’ose en rien dire. C’est le moment où elle est mieux. J’ai bien besoin, mon adoré bien-aimé, que tu viennes renouvelera provision de courage et de bonheur car elle est [illis.] et il n’y a que toi qui puisses me donner [illis.] qui me manque. [illis.] Je te baise [illis.].

BnF, Mss, NAF 16363, f. 41-42
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « renouveller ».


13 mai [1846], mercredi après-midi, 3 h. ¼

Plus la journée s’avance et plus ma tristesse augmente, mon pauvre doux bien-aimé, car je pense que je ne te verrai pas. J’ai beau être très occupée des soins à donner à ma pauvre fille et de la difficulté d’encadrer ma vie dans cet affreux petit taudis de boutiquier, je n’en sens que plus le vide et l’isolement que me fait ton absence. Rien ne peut me distraire de l’ennui qu’elle me cause. Rien ne saurait combler l’affreux trou que font dans mon cœur ces quatre mots hideux : il ne viendra pas. Tes lettres mêmes, tout adorables qu’elles sont, ne bouchenta pas entièrement cette énorme brèche par laquelle mon bonheur s’en va. Je me suis levée tout à l’heure pour aller voir si ce n’était pas toi qui arrivait parce que j’avais entendu le bruit de l’omnibus qui s’arrête à la porte. Je m’en reviens toute penaude finir ce lamentable gribouillis avec le découragement et la mort dans âme. J’ai déjà demandé à quelle heure les lettres de Paris se distribuaient dans la banlieue mais Suzanne n’a pas su me le dire. Cette commission dépasse la somme de son intelligence. Cependant j’espère que si tu ne peux pas venir absolument tu auras eu la bonté de m’écrire pour que je ne passe pas une trop mauvaise nuit. En attendant, je relis les deux autres que je sais par cœur pour avoir le bonheur de promener mes yeux où ta chère petite main a passé pour baiser uneb à une chaque lettre des mots si doux et si ravissants que tu m’as écrits, mais cela ne suffira pas ce soir si je ne t’ai pas vu. Il m’en faudra encore une autre encore plus tendre, encore plus charmante, encore plus admirable si c’est possible. Je me contenterai de la même lettre répétée, pourvu qu’elle m’arrive aujourd’hui parce qu’elle me prouvera que tu as pensé à moi, que tu me plains, que tu me regrettes et que tu m’aimes pendant que moi je te désire de toutes mes forces et je t’adore de toute mon âme.
Claire va assez bien. Justement te voilà.

BnF, Mss, NAF 16363, f. 43-44
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « bouche ».
b) « un ».

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