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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 mai 1846

11 mai [1846], lundi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon bien-aimé adoré, bonjour, mon Toto ravissant, bonjour. Je te renvoie toutes les adorables choses que tu m’as écrites hier avec des millions de baisers et de tendresses dont je les ai couvertes et imprégnées à force de les lire et de les baiser. Je voudrais être à ce soir déjà pour te dire tout ce que j’ai dans le cœur d’amour et d’adoration.
La nuit a été moins bonne que d’habitude, et cependant ce matin ma fille paraît assez bien. M. Triger n’est pas venu malgré sa promesse. M. Pradier n’est pas revenu non plus. Le temps n’était pas engageant et à l’exception d’Eugénie que rien n’arrête, je n’ai vu personne dans la journée. M. Pradier m’a dit en effet que tu lui avais donné un affreux galop [1] à quoi j’ai répondu ce dont nous étions convenus. Je te dis cela pour te dire tout ce qui se passe et ce qui se dit, même les choses les plus insignifiantes. Mon Victor chéri, je t’aime, je voudrais être oiseau pour te suivre, je voudrais être fleur pour te plaire, je voudrais être la lumière pour t’être nécessaire, je voudrais être l’air que tu respires et surtout je voudrais être toujours la femme aimée de toi. Je t’attends avec toute l’impatience que donnent quarante-huit heures de désir et de regrets continus. Je voudrais être à tantôt mais surtout je voudrais être revenue chez moi avec ma pauvre enfant pour n’en plus bouger et pour t’espérer à tous les instants de ma vie. Le jour où je retournerai dans ma maison avec ma fille guérie, je serai la plus heureuse des femmes car je serai près de toi et entourée de tout ce qui t’appartient.

BnF, Mss, NAF 16363, f. 33-34
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette


11 mai [1846], lundi après-midi, 2 h. ¼

L’heure approche où je te verrai, mon Victor bien-aimé, elle approche lentement mais la certitude que je te verrai tantôt me donne le courage d’attendre jusque-là.
Ce matin, j’ai eu la visite de Mme Guérard qui demeure depuis huit jours dans le voisinage à Passy. C’est une bonne et ennuyeusea femme qui fait plaisir à voir quand je ne t’attends pas. Elle a donné à Claire un signetb du livre d’heures avec une médaille dorée à chaque bout. Mais rien ne lui plaît à cette pauvre enfant, pas même la distraction que je m’efforce de lui donner pour lui faire perdre un peu le sentiment de son mal. Ce hideux Triger n’est pas venu hier et pas encore aujourd’hui. Le temps s’écoule en attendant et ses forces s’épuisent. Je suis on ne peut pas plus tourmentée sur l’issue de cette maladie. Je voudrais qu’on vît M. Louis le plus tôt possible et d’un autre côté je crains de l’effrayer. Je ne sais que résoudre et j’ai bien besoin que tu me viennes en aide en me disant ce qu’il faut faire. Quelque chose qui m’arrive dans la vie, heureuse ou malheureuse, c’est toujours vers toi que je me tourne. Je ne peux penser que par toi et je n’agis que d’après toi. Je ne peux vivre qu’en toi et je ne suis heureuse que par toi. Je t’aime et je te baise de l’âme. Je t’attends et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 35-36
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieuse ».
b) « sinet ».

Notes

[1Donner un galop : (pop.) réprimander.

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