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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 mai 1846

8 mai [1846], vendredi matin, 7 h. ½

Bonjour mon bien-aimé ravissant, bonjour mon adoré petit Toto, bonjour et bonheur à toi et à tout ce que tu aimes. Je viens de commencer ma journée comme je l’avais finie, en lisant et en relisant ton adorable petite lettre [1]. Aujourd’hui je serai plus heureuse encore puisque je te verrai. Il est vrai que le regret de te quitter suivra de trop près la joie de te revoir, mais dans ce moment-ci je ne vois que le moment où je te verrai, où je te baiserai, où je t’écouterai, où je t’adorerai avec tout mon cœur et toute mon âme.
Ma fille dort encore. Elle a passé une bonne nuit. Nous verrons comment elle se comportera dans la journée. Cher bien-aimé, j’avais envie ce matin d’effacer tout ce que je t’ai écrit sur son père [2]. Je trouve à mon tour que je manque de dignité et de générosité, et que le mieux pour moi serait de ne jamais en écrire un mot, ni en ouvrir la bouche, pas même à toi. Il est vrai que toi tu n’es pas toi c’est moi. Mon individualité n’est pas en moi mais en toi. Je suis faite de ton amour et j’habite en toi. C’est ce qui fait que je te dis tout et que je te laisse voir ma pensée, comme si tu étais le bon Dieu. Maintenant il faut laisser ce vilain homme dans l’oubli et ne nous occuper que de nous, de notre amour et de la santé de cette pauvre chère enfant. En attendant le moment où je pourrai te baiser sur les lèvres roses, je t’envoie des millions de baisers en pensée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 23-24
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette


8 mai [1846], vendredi après-midi, 2 h. ½

Je t’écris en t’attendant, mon cher adoré, pour me faire prendre patience jusqu’à ce que tu viennes et pour faire diversion à l’inquiétude que me donne ma pauvre fille. Aujourd’hui elle est beaucoup moins bien qu’hier. Elle n’a rien pris absolument et maintenant elle ne veut plus que de l’eau pure. Jusqu’à présent elle a eu les pommettes des joues très enflammées. Maintenant elles commencent à s’éteindre mais elle reste sans force et sans ressort. Rien ne lui plaît, rien ne la distrait, rien ne la touche, c’est désolant. Si j’avais pu prévoir son état aujourd’hui j’aurais insisté pour que M. Triger vînt la voir. Voilà à quoi sert cette villégiature improvisée, c’est à vous priver de tous les soins et de toutes les ressources qu’on peut se procurer à Paris dès qu’on en a besoin. Quant à moi, je suis découragée autant qu’on le peut être, et il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour reprendre le chemin de Paris avec ma pauvre enfant, persuadée que je suis que cette campagne n’a d’autre influence que de me rendre la vie la plus difficile et la plus malheureuse possible en me séparant de toi, et de priver ma pauvre fille du secours prompt dont elle peut avoir besoin à chaque instant. J’ai bien besoin aussi que tu viennes, mon doux aimé. Ta vue me desserrera le cœur et me rafraîchiraa la tête que j’ai brûlante. D’ici là, je vais encore te désirer bien des fois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 25-26
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « raffraichira ».

Notes

[1La veille, à 1 h. ½ de l’après-midi, Hugo lui écrit cette lettre (publiée par Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 153) : « Mon doux ange, ma bien-aimée, j’ai bien peur de ne pas te voir aujourd’hui. Je veux que du moins tu aies une lettre si je ne t’ai pas. Je veux que ce pauvre petit morceau de papier ait le bonheur qui me manquera, à moi, que tu lui souries en le recevant, que peut-être tu lui donnes le baiser que je n’aurai pas et auquel je vais rêver ! J’espère que ta Claire va bien, embrasse-la pour moi, et dis-lui toutes ces tendresses que tu me sais pour elle. Je veux absolument qu’elle mange, qu’elle mange bien, qu’elle mange beaucoup, et qu’elle devienne aussi goinfre qu’elle est jolie. Signifie-lui cela de ma part. Ah mais ! / Ta petite rose s’est cassée et est tombée comme je montais dans l’omnibus, je l’ai ramassée et serrée précieusement dans tes lettres. Elles sont ensemble maintenant. Si tu savais avec quel bonheur j’ai lu tes deux lettres cette nuit. Jamais rien de plus doux n’est sorti de ton âme, ni d’aucune âme ! / Demain je te verrai, mais que c’est loin, demain ! Que d’heures dans cette journée qui nous sépare, et que de minutes dans ces heures ! Ô mon doux ange, pense à moi ! / Si tu savais ! j’ai ton visage en ce moment devant les yeux ! Il me semble que je te vois, que tu m’éclaires de ton doux regard, que tu m’enchantes de ton doux sourire. Tu es si belle, et tu as si bien ton cœur sur ton visage ! L’un est charmant parce que l’autre est parfait ! Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Que je t’aime, que tu es la joie et le charme de ma vie, et que [je] baise tes pieds, et votre bouche, s’il vous plaît, Madame. »

[2Dans les lettres qui précèdent, et tout particulièrement celle de la veille, à laquelle elle fait ici allusion, elle accusait Pradier d’insincérité et d’ostentation.

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