Jersey, 31 octobre 1854 [1], mardi matin, 8 h.
Vous voyez que vous êtes dans mes petits papiers, mon cher petit homme, et que je commence ma journée par vous. Tâchez de la continuer et de la finir avec moi. J’espère vous voir un peu tantôt et convenir avec vous de ma sortie car il faut absolument que je sorte et que je profite du beau temps qui se prépare et du mieux de mes entrailles. Cependant, si vous étiez assez mal avisé pour m’offrir un Gorey ou un Plemond [2] quelconque aujourd’hui même, je serais assez lâche pour l’accepter toutes les autres nécessités remisesa aux Kalendes grecs. Voilà mon côté faible. Du reste, mon cher petit homme, permettez-moi de vous dire que vous êtes bien absurde de préférer votre sauce à celle que fait ce matin le bon Dieu dans un bon margouillis de soleil, de prés verts, de mer bleue, d’arbres rouges et de fleurs jaunes ; il n’aurait tenu qu’à vous de nous en gaver pour le reste de la saison au lieu de vous amuser à la moutarde [3] comme si le bonheur n’était pas la première de toutes les illustrations passées, présentes et futures. Si j’étais mon maître comme je voudrais être votre maîtresse, quelle bulle de joie, de bouley…bay, de soleil et d’amour je nous ferais au lieu de siffler tristement la linotte seule à l’ombre. Taisez-vous, vous êtes décidément trop calme et trop serin pour une Juju tourmentée de la rage de vous aimer.
BnF, Mss, NAF 16375, f. 366 bis
Transcription de Chantal Brière
a) « remise ».