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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 décembre [1846], jeudi matin, 11 h.

Bonjour, mon Victor bien-aimé, bonjour mon Toto, je t’aime, comment vas-tu ? Moi je [vais ? suis ?] triste parce que je n’irai pas te chercher tantôt. Depuis huit jours je m’étais fait une fête d’aller au-devant de toi aujourd’hui, ce qui me rend la déception encore plus amère. Du reste j’ai l’intime conviction que toutes ces précautions-là, loin de m’être favorables, si j’ai quelque hideuse maladie, ne serviront qu’à me faire brûler la chandelle par les deux bouts, comme on dit, parce que l’ennui de ne pas te voir l’emportera certainement sur le repos forcé que tu m’imposeras. Je veux bien pour cette fois en essayer pour t’obéir mais après je ferai ce que je voudrai, persuadée que je suis que le meilleur remède pour tous les maux du corps c’est le contentement du cœur et la joie de l’âme. Maintenant que je t’ai fait ma profession de foi, parlons d’autre chose pour nous distraire un peu de la maussaderie du sujet.
Je voudrais bien assister aux boutades de Vacquerie. Il me semble que cela me mettrait du baumea dans le sang. Je passe ma vie à me hérisser dans mon coin toute seule contre les monstrueuses stupidités que je lis, il serait juste que par forme de compensation j’assistasse de temps en temps à ces admirables exécutions de la place Royale [1]. Hélas ! ma place est ici et je n’en sortirai que pour assister à un autre spectacle plus intéressant que celui qui m’occupe dans ce moment. Cela ne m’empêche pas de trouver qu’on fait bien d’écraser toutes ces araignées humaines et de cracher sur toutes ces chenilles littéraires quand on peut ; au contraire je trouve que c’est de la bonne justice devant Dieu et devant les hommes et je m’en réjouis de tout mon cœur. Je ne sais pas pourquoi je te dis cela. Il faut que j’aie une confiance bien robuste en ta bonne indulgence pour me lancer ainsi dans des appréciations de choses qui ne me regardent pas. Je me laisse aller à te dire tout ce que je sens au fur et à mesure que je l’éprouve sans m’inquiéter comment toutes ces impressions s’alignentb au bout de ma plume. D’où il suit que je suis grotesque et ridicule la plupart du temps. Enfin c’est égal, cela ne m’inquiète pas autrement car je sais que tu sauras bien démêler dans tout cela l’amour sans borne qui s’y trouve et toute l’admiration ardente que j’y fourre tant bien que mal. Pour mieux t’y aider je te donne dix mille millions de baisers qui te serviront de guides dans tout ce fatras.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 281-282
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « beaume ».
b) « s’allignent ».

Notes

[1Victor Hugo habite Place Royale, de 1832 à 1848, avec sa femme Adèle Foucher et leurs quatre enfants, un appartement de 280 m2 au deuxième étage de l’Hôtel de Rohan-Guémenée, n°6.

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