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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 décembre [1846], mercredi matin, 11 h. ½

Bonjour, mon petit Toto, bonjour mon petit homme adoré, bonjour je t’aime et toi ? Je t’écris sur ma chemise sans crainte qu’elle devienne pour toi la robe de Déjanire malgré tout ce que j’y mettrai d’ardent et de brûlant [1]. Vous êtes à l’épreuve de tous les corrosifs et de tous les fulmicotonsa [2] du monde. Rien ne peut entamer, ni roussir, ni même chauffer votre carcasse de grand poète, du moins si j’en juge d’après ce que je vois. Maintenant que je vous ai dit mes plus gros mots, je vais vous dire les plus tendres. Ceci est de la bonne ordonnance il me semble car il faut toujours, en toute chose, finir par quelque chose de doux et d’agréable. Voime, voime, c’est très facile à dire mais beaucoup moins à faire. Je crois que je comprendrais encore mieux les vers d’Alphonse que de dire des douceurs et des fadaises à un homme que je voudrais griffer et dévorer depuis le matin jusqu’au soir. Taisez-vous Toto, je vous déteste. Toto je vous adore. Toto vous êtes un grand scélérat mais vous êtes aussi mon amour et ma vie.
Je viens de voir ma pauvre Joséphine qui revenait de la consultation. Chemin faisant je lui ai parlé de Mme Guérard et de la place qu’il y avait à prendre chez elle, et elle a pensé que cela pourrait convenir à sa vieille camarade sans ouvrage comme elle [3] et dont elle répond comme d’elle-même pour la probité. J’ai donc écrit tout de suite à Mme Guérard afin qu’elle voie si cela peut lui convenir. Ce serait un service rendu à deux personnes dans le cas où elles s’entendraient ensemble. Voilà ce que je viens de faire, mon petit homme, et pour cela je vous ai quitté un moment. Vous ne m’en voulez pas, je suis sûre. Cher adoré, mon divin bien-aimé, j’ai le cœur plein de toi. Je voudrais le dire à toute la nature. Plus je vais et plus je t’aime. Je ne sais pas comment cela peut se faire mais je sais que cela est.
J’irai au-devant de toi demain. Avant toute chose il faut que je te voie chaque fois que l’occasion se présentera, c’est plus nécessaire à ma vie que tout le reste. Aussi j’attends jeudi avec impatience. J’attends mon Jean Tréjean avec des fourmillements de curiosité et d’admiration dont tu ne peux pas avoir idée, toi qui l’inventesb. Si j’avais eu du papier je me serais mise tout de suite à l’ouvrage. Vous êtes bien féroce de m’en laisser manquer. Taisez-vous méchant. On voit bien que vous ne manquez de rien en fait d’amour et de bonheur, sans cela vous comprendriez un peu mieux mes besoins. Taisez-vous qu’on vous dit et laissez-vous aimer avec rage par votre pauvre vieille Juju.

BnF, Mss, NAF 16364, f. 279-280
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « fumi-coton ».
b) « invente ».

Notes

[1Déjanire, dernière épouse mortelle d’Héraklès, victime d’une ruse du centaure Nessos, provoqua malgré elle la mort de son mari en lui offrant une tunique empoisonnée qui le brûla.

[2Coton qu’une préparation chimique a rendu détonant comme la poudre ; dit aussi coton-poudre et pyroxyle. Le chimiste bâlois Schœnbein l’avait présenté à l’Académie des Sciences le 5 octobre 1846.

[3S’agit-il de Mlle Baucoul ?

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