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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 août [1846], lundi matin, 7 h. ¾

Bonjour mon Victor, bonjour mon Toto, bonjour mon aimé, bonjour mon adoré petit homme. Comment vas-tu ce matin ? J’espère que tu dors encore ? Tu te couches trop tard pour avoir le droit de te lever matin. Pauvre bien-aimé, je ne peux pas penser à tout ce que tu fais sans une sorte de pitié mêlée à l’admiration pour ton sublime et intarissable génie. Je te plains dans l’âme, car il me semble impossible que l’être doux et délicat que je vois ne se fatigue et ne souffre pas du travail incessant de la pensée. Mon Victor, je te dis cela comme en revenant de Pontoise [1], mais dans mon cœur, je sens et j’éprouve une adoration sans borne et une tendresse ineffable qui me font désirer de donner ma vie pour toi. Je t’aime, mon Victor, comme on doit aimer dans le ciel. Je voudrais te servir à genoux. Quand te verrai-je ? Dès que je suis éveillée, je t’attends et je te désire à tous les instants de ma vie. Tâche de venir baigner tes chers yeux [2] avant d’aller à la Chambre ; cela vous sera une occasion de vous montrer dans vos beaux jours, mon cher petit coquet, et à moi celle de vous embrasser de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 41-42
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette


17 août [1846], lundi après-midi, 2 h. ¼

J’ai eu beau te désirer et t’aimer, mon Victor adoré, cela ne t’a pas fait venir avant d’aller à la Chambre ; il n’y a pas de magnétisme assez fort pour attirer un adorable petit homme, criblé d’affaires comme toi. Aussi, je renonce, non à t’aimer, ce qui n’est pas possible, mais à me confier à l’impuissance de mes désirs et de mon amour. J’aime mieux t’attendre tout bonnement. Hélas ! cela n’est pas tout bonnement impossible. Il faut que je t’espère malgré moi. Mon amour ne peut vivre que dans cet espoir, si peu souvent réalisé, mais qui soutient mon courage, tout en me donnant une espèce de fièvre d’impatience. Je ne sais pas ce que je dis. Je sens que je te rabâche des tendresses douloureuses et tristes qui sortent de mon pauvre cœur comme elles peuvent. Tout à l’heure, j’aurai repris le dessus probablement et je pourrai te sourire quand tu viendras. Pourvu que tu viennes bientôt ? Je n’ai pas la moindre idée à quelle heure peut finir cette séance royale. À en juger par le désir et le besoin que j’ai de te voir tout de suite, elle doit être archi-finie. En attendant que tu viennes, je fais force de voile pour arriver jusque-là sans pleurer. Je voudrais ne pas t’attrister de ma tristesse. Pauvre adoré, c’est bien le moins que je te montre un visage calme, doux et résigné en échange de ton dévouement, de ta générosité et de ton ineffable bonté. Et puis, je t’adore à deux genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 43-44
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Avoir l’air de revenir de Pontoise : avoir l’air hébété, confus, troublé.

[2Juliette évoque, à de nombreuses reprises, les problèmes ophtalmiques de Victor Hugo qui avait l’habitude de se baigner les yeux chez elle.

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