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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 novembre [1846], dimanche matin, 8 h. ½

Bonjour mon Toto, bonjour qu’on vous dit, comment allez-vous ? Moi je vais très bien à cela près que je suis furieuse contre vous et contre votre manière de grugeotter [1] le papier imprimé. La première fois que cela vous arrivera je vous ficherai de bons coups et j’enverrai acheter le n° du journal rongé. Cela vous coûtera horriblement cher, je vous en préviens. Mais je suis décidée à tout pour vous faire perdre cette dégoûtante habitude de mordre à même les journaux, vilain sale ! Qui est-ce qui croirait cela en vous voyant si coquet et si nippé. Quant à l’autre chose, je verrai à m’en assurer et malheur à vous si ce que je crains est vrai. Dans tous les cas la chose est bien singulière, ceci soit dit sans offenser les différents corps dont vous faites partie. Ah ! tu essuies tes mains sales après mes draps ! Ah ! tu acceptes ! Ah ! tu me fais monter à l’arbre ! Ah ! tu veux me scier ! et tu crois que je me laisserai faire tout bonnassement sans me rebiffer et sans prendre ma revanche ? Eh bien tu te trompes, mon camarade. J’en ai peut-être plus que toi des scies et qui te scieront du matin au soir sans s’user et sans s’ébrécher. Viens et puis tu verras. Je ne te dis que ça. Je veux que [tu] me demandesa grâce et je ne te la donnerai pas. Je veux t’aplatirb dans ta dignité d’académicien et de pair de France, je veux t’humilier dans tout ce que tu as et dans tout ce que tu n’as plus, voilà.

Juliette

MVH, α 7821
Transcription de Nicole Savy

a) « demande ».
b) « applatir ».


22 novembre [1846], dimanche après-midi, 1 h. ¾

Cher bien-aimé adoré, est-ce que tu ne viendras pas bientôt ? Je t’attends avec toutes sortes de bonnes caresses dans les yeux et sur les lèvres ; avec toutes sortes de tendresse dans l’esprit et dans le cœur. Tout cela s’impatiente au-dedans et au-dehors de moi, ne pouvant pas se répandre sur ta chère petite personne en chair et en os.
Il fait un temps délicieux aujourd’hui. On se croirait au mois d’avril et non au mois de décembre, aussi en profiterai-je demain pour mettre à exécution mon projet de visite à Saint-Mandé [2]. Je tâcherai de partir à midi et d’être de retour à deux heures. Ce sera une très bonne heure dans le cas où tu voudrais venir travailler auprès de moi. Il va sans dire que s’il faisait un trop mauvais temps je n’irais pas. Mais celui d’aujourd’hui s’annonce si bien qu’il me fait espérer qu’il se continuera jusqu’à demain.
J’attends Eugénie aujourd’hui. Je ne sais pas si je lui parlerai de ta lettre à M. de Boursy [3]. Dans tous les cas je ne le ferai pas avant d’en avoir la permission de toi, mais je voudrais que tu viennes avant elle afin que nous soyons quelques instants ensemble. C’est si bon d’être tout à fait seule avec toi. Hélas ! et cela devient de jour en jour si rare que j’en suis avare au dernier point. Je t’aime trop mon Victor. C’est bien vrai mon Dieu.

Juliette

MVH, α 7822
Transcription de Nicole Savy

Notes

[1De « gruger », écraser, manger.

[2Claire Pradier, morte quelques mois plus tôt, est enterrée à Saint-Mandé, où était sa pension.

[3Eugénie tente depuis mai 1846 d’obtenir un bureau de tabac ; l’administration des Tabacs tombait sous la jurisdiction de de Boursy, administrateur des contributions.

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