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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 novembre [1846], jeudi matin, 9 h.

Bonjour, mon petit Toto adoré, bonjour, mon cher petit taquin, bonjour. Je n’accepte pas et je vous ficherai des bons coups chaque fois que vous prendrez mes draps pour torchons. Vous verrez si je vous rate. Taisez-vous, vous mériteriez d’avoir le nez aussi long que Vacqueriea [1].
Comment va votre pauvre gorge ce matin ? Vous la soignez quand vous ne pouvez plus faire autrement et puis vous la laissez là ensuite, ce qui éternise ce bobo-là. Il faudrait cependant y faire un peu plus attention et vous gargariser, vous tenir les pieds chauds et vous reposer un peu pendant deux ou trois jours. Cher adoré, il ne faut pas te laisser acoquiner au mal de gorge à l’entrée de l’hiver parce que tu ne pourrais plus t’en débarrasserb. Il vaudrait mieux faire le sacrifice de deux ou trois jours que de souffrir sérieusement pendant quatre mois. Penses-y, mon cher amour, et ne dédaigne pas les avis de ta pauvre Juju, quelques difficultés qu’il y aitc pour toi et les adopter. D’abord il y en a que tu pourrais mettre à profit tout de suite, par exemple les pieds chauds et le gargarisme. Ce serait le moment de dire tout de suite : j’accepte, si vous savez vous servir de ce verbe à propos. En attendant, je bisque et je rage parce que je sens que vous souffrez et que vous ne faites pas ce qu’il faut pour l’empêcher. Taisez-vous vilain être, je vous abomine à force de vous adorer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 241-242
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) Dessin représentant Vacquerie de profil, avec son long nez :

© Bibliothèque Nationale de France

b) « débarasser ».
c) « aient ».


12 novembre [1846], jeudi soir, 6 h. ¼

Je viens de te quitter, mon doux bien-aimé, mais avec l’espoir que tu reviendras tout à l’heure et que tu me conduiras toi-même chez Joséphine. Je me fais cette illusion pour tromper mon impatience, Dieu veuille qu’elle se prolonge jusqu’à ton très prochain retour. Ordinairement tu reviens tout de suite quand tu t’en vas si tôt qu’aujourd’hui, mais déjà mon espoir commence à s’en aller et j’entrevois l’affreuse réalité de toute une longue soirée, et peut-être pire que ça, toute une nuit et toute une journée sans te voir. J’en tremble d’avance et le sang me monte au visage rien que d’y penser. Mon Toto adoré, mon amour, mon bonheur, ma vie, ma joie, tâche de venir à quelque heure que ce soit, je t’en supplie de toutes les forces de mon amour.
Je te ferai tenir ton petit souper tout prêt, tu auras du bon feu sous les pieds, enfin je te laisserai trifouiller mon drap blanc [2] : - j’accepte. Acceptes-tu, scélérat, ou je te donnea des coups. Je te laisserai faire tous les calemboursb que tu voudras. Hein, en voilà des concessions ! Je ne [grincerai ? pioncerai ?] pas, enfin je serai très bien dressée et vous verrez que vous ne regretterez pas d’être venu. D’ici là, je fais contre fortune bon cœur et je m’apprête à aller passer deux heures chez ces braves vieilles filles [3] au risque de m’y ennuyerc beaucoup. C’est votre faute aussi, pourquoi êtes-vous toujours si loin de moi ? Taisez-vous et aimez-moi et venez le plus tôt possible si vous voulez me rendre bien heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 243-244
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « donnes ».
b) « calembourgs ».
c) « ennuier ».

Notes

[1Observation exacte : Vacquerie avait en effet un long nez.

[2Voir le premier paragraphe de la lettre du 12 décembre 1846, jeudi matin, 9 h.

[3Vraisemblablement Joséphine, voisine à laquelle Juliette Drouet rend fréquemment visite et réciproquement, et Mlle Baucoul, que Juliette, dans son Journal de 1848 qualifie de « vieille fille (…) qui demeure avec Joséphine » ?

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