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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 septembre [1848], lundi soir, 4 h. ½

Qu’est-ce que tu vas dire, mon bien-aimé, je rentre chez moi sans avoir ton cuir ? Et cependant, Dieu sait toute la bonne volonté que j’y ai mise. Mais ni dans l’almanach des [illis.] adresses, ni chez les [illis.] auxquels je me suis adressée, je n’ai pu avoir l’adresse du Grand Virtel. Cependant, je suis sûre que c’est bien ce nom-là dont a parlé M. Cacheux et je crois bien même qu’il demeurait autrefois au coin de la rue Richelieu et du boulevarda. J’y suis allée, rue Richelieu, dans l’espoir de le trouver, mais les deux tiers des boutiques sont fermées et la sienne, ou ce que je suppose avoir été la sienne, est fermée aussi. Je n’ai pas voulu acheter un cuir chez le premier venu sans savoir si cela ne te contrarierait pas. J’ai envoyé tout à l’heure chez M. Cacheux, mais il n’y est pas. Tout le monde de chez lui est à la campagne. Enfin, mon pauvre adoré, si je n’ai pas mieux réussi dans mes démarches, ce n’est pas faute de bonne volonté et de peine. J’avais à cœur de te faire cette commission dans le cas où tu viendrais ce soir et je ne suis parvenue qu’à mettre mon pied en marmelade. Quelle chance !

Juliette

Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/75
Transcription de Joëlle Roubine

a) « boulevart ».


11 septembre [1848], lundi soir, 5 h.

Comme je viens de te le dire, mon doux adoré, j’ai le pied dans un état hideux. Je n’ai eu que le temps d’envoyer chercher du céra [1] et de m’en mettre pour calmer la petite plaie qui s’y est formée et qui me fait horriblement souffrir. Du reste, cela ne m’empêchera pas d’aller demain au rendez-vous habituel. Seulement dans le cas où il pleuvrait, tu devinerais bien que je suis descendue directement chez la mère Sauvageot. Mais j’espère que je te verrai d’ici là et que tu pourras venir ce soir. Je le désire avec toutes mes forces, tout mon cœur et toute mon âme. Je suis impatiente de savoir si tu as eu du succès et si la CABALE a été enfoncée honteusement par ta parole si loyale, si calme, si généreuse, et si sublime [2] ? Je donnerais un an de ma vie pour te voir ce soir. Je donnerais tout ce que j’ai pour en passer le quart tout d’une traite sans te quitter. [Et  ?] tâche de venir, mon adoré. Je sais bien que cela sera d’autant plus difficile que tu as parlé et qu’il faut que tu voiesa Le Moniteur. Mais je serais si contente, si heureuse et si reconnaissante si tu viens que tu devrais faire tous les efforts pour me donner ce moment de bonheur.

Juliette

Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/76
Transcription de Joëlle Roubine

a) « voie ».


11 septembre [1848], lundi soir, 8 h. ¾

Je t’écris en t’attendant, mon cher bien-aimé, et cependant, au fond de mon cœur, j’ai la conviction que tu ne pourras pas venir à cause de ton discours ; j’en suis triste dans l’âme, mais je te sais bon gré d’avoir eu la bonne intention de me donner cette joie. Cette bonne volonté, toute impuissante qu’elle soit, ôte toute amertume à mes regrets. Je suis triste de ne pas te voir, mais je ne suis pas découragée. Je souffre de ton absence, mais je n’en suis pas irritée. Je crois que ce n’est pas ta faute et je me résigne. Je crois que tu m’aimes et je te bénis. J’espère en des jours meilleurs et j’ai du courage plein mon âme. Mon Dieu, que je voudrais savoir ce qui s’est passé tantôt à l’Assemblée. Pourvu que ta noble parole ait été comprise de cette stupide Assemblée, plus bête que NATIONALE. Tu ne peux pas te figurer à quel point je serais furieuse que ces misérables aboyeurs aient réussi à atténuer l’effet de ton discours sur le moment. J’aurais de la volupté à leur sauter à la figure et à les griffer dans tous les sens. Il est vrai que tu es parfaitement indifférent à leurs vociférations et à leurs immondes cabotinages, mais moi je ne suis pas aussi stoïque et je rage à Juju, que veux-tu ? Hélas, dans ce moment-ci, ce n’est pas précisément de la rage qui me tourmente, c’est la crainte de ne pas te voir ce soir. Mon pauvre adoré bien-aimé, j’ai une peur de chien que tu ne viennes pas, mais dans tous les cas, je t’aime et je te baise avec tout ce que j’ai de plus tendre et de plus doux dans le cœur.

Juliette

Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/77
Transcription de Joëlle Roubine

Notes

[1À élucider.

[2Ce jour-là, Hugo a parlé à l’Assemblée constituante sur la liberté de la presse (Choses vues, Histoire, « Bouquins », p. 1081).

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