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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 novembre [1847], samedi matin, 9 h.

Bonjour, mon pauvre bien-aimé, bonjour et surtout pas bonsoir car je veux que tu viennes et que tu ne t’en ailles que bien tard ; tant pire pour moi si je dors mais pour rien au monde je ne veux que tu ne changesa tes habitudes. D’ailleurs, cetb engourdissement je ne l’aurais pas si tu pouvais m’occuper ou me parler à ce moment-là, cela n’arriverait pas. Mais n’importe, je trouverai moyen de combattre ce stupide sommeil toute seule. Je copierai pendant ce temps-là, de cette façon je ne dormirai pas. Il n’y a que cela qui puisse m’empêcher de dormir pendant que tu lis et que tu travailles. Mais encore une fois je veux que tu viennes, dusséc-je ouvrir mes yeux avec des pincettes rouges.
Quand tu es parti j’ai toutes les peines du monde à me rendormir. Cette nuit à 2 h. du matin j’étais réveillée comme une portée de souris et je ne savais que faire de mon corps dans le lit. Si ce n’est pas par esprit de contradiction, c’est bien bête tu conviendras, et surtout bien agaçant de dormir quand on ne le veut pas et d’être éveillée quand on voudrait dormir. Aussi je vais mettre ordre à tout cela et faire tout ce qu’il faut pour ne plus mériter les menaces que tu me fais de ne pas revenir le soir. Tu verras dès aujourd’hui comment je vais m’en tirer. D’ici là, je vais bien t’aimer pour que tu ne me gardes pas rancune de cette stupide attitude que j’ai eued devant toi cette nuit.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/62
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « change ».
b) « cette ».
c) « dussai ».
d) « eu ».


27 novembre [1847], samedi matin, 9 h. ½

J’allais me racquitter quand tu es venu hier au soir. Je ne regrette pas d’en avoir été empêchée de cette manière et ma dette n’en est que plus légère pour avoir attendua douze heures de plus à cause de ce motif-là. Maintenant je suis très heureuse d’avoir devant moi encore deux lettres à t’écrire après celle-ci. Je ne demande que gribouillis et bosses. Et à ce propos je vous dirai que je suis très femme à en exiger une, de BOSSE, dès que votre chère petite patte sera guérie. Jusque-là je veux bien ne rien demander mais j’entends bien ne rien perdre pour tant attendre. Avoue, mon cher petit bien-aimé, que je ne l’aurais pas volée cette pauvre bosse de bonheur depuis le temps que je suis réduite à la portion congrue ? J’en tire la langue jusqu’à la cheville et je bisque, je rage avec la rime obligée. Je sens que j’en ai un peu plus que par-dessus la tête, de la déception, de la consternation, de la révolution, dérision et autre mystification. Je n’en veux plus, je veux de la joie, du plaisir, du bonheur, des voluptés et de l’amour. Il faut que je me rabiboche ou la mort, ainsi vous n’avez qu’à vous bien tenir.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/63
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « attendue ».


27 novembre [1847], samedi soir, 5 h.

Je continue mon petit commerce et je m’en trouve très bien car rien n’est plus doux que de t’écrire même sans savoir pourquoi, à plus forte raison quand c’est pour l’apprendre, la nouvelle, la grande nouvelle, plus nouvelle nouvelle que toutes les nouvelles qui ne sont pas encore des nouvelles, c’est que je t’aime et que tu es mon bien-aimé, ma passion, mon désir, mon bonheur, mon amour et ma vie. Tu commences peut-être à t’en douter ? Eh bien, moi il me semble, tant mon amour est jeune, frais et vivace, que c’est de tout à l’heure seulement que je t’aime comme cela. C’est presque comme une révélation et pourtant voilà quinze ans que minute à minute, j’éprouve la même impression. Je devrais y être habituée, n’est-ce pas ? Eh bien, non, je suis encore comme le premier jour. Il me semble que c’est la première fois que tu m’as dit ce mot si doux : je t’aime, que c’est la première fois que je me suis donnée à toi. Tout mon corps, mon esprit, mon cœur et mon âme ont gardé avec soin la première impression de bonheur et d’amour que j’ai reçue de toi. Voilà ce que je voulais te dire en grande confidence, au risque de ne te rien apprendre que tu n’aies déjà deviné beaucoup mieux que je ne te le dis, mais cela ne m’arrête pas, au contraire.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/64
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen


27 novembre [1847], samedi soir, 6 h. ¼

Cher adoré, voici deux petites lettres que, sans intention prévoyante, je trouve avec bonheur pour calmer la soif que me donne ton absence. Je n’avais pas pu tu les écrire dans la journée et malheureusement pour moi tu m’en laissesa trop le temps ce soir. Enfin j’en profite et je trouve une certaine consolation à te griffouiller quelques vieilles tendresses en attendant ton retour désiré. J’espère car, sans avoir l’innocence et l’âge de cette pauvre petite Cosette, je me confie avec une bonne foi sans pareille à toutes les promesses que tu me fais, quoique depuis quinze ans tu fassesb état de ne les pas tenir. J’espère, dis-je, que tu viendras de bonne heure et que j’aurai la joie de te voir un peu plus longtemps que d’habitude. Je me prépare à lutter contre le sommeil avec mon antinarcotique infaillible, ma COPIE [1]. Dès que la première digestion sera faite, je me mettrai à l’OUVRAGE. Cela ne t’empêchera pas de me dicter ce que tu voudras, au contraire, puisque je serai toute prête pour cela. Tu vois, mon adoré, que je me fais d’avance au bon petit plan d’occupation que ta présence changera en bonheur si tu viens très tôt. En attendant, je t’envoie mon âme dans un baiser.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/65
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « laisse ».
b) « fasse ».

Notes

[1Juliette copie Jean Tréjean, qui deviendra Les Misérables, commencé en 1845 et souvent interrompu pour d’autres occupations littéraires et politiques ; Hugo en a repris l’écriture le 1er juin 1847 mais a dû s’arrêter à nouveau le 15 novembre après s’être foulé le pouce droit. Il le reprendra dans la nuit du 29.

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