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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 mai 1847

20 mai [1847], jeudi matin, 8 h. ¾

Bonjour mon Toto, bonjour, je vous aime mais je ne suis pas contente de vous. D’abord je crois que vous n’avez pas passé la soirée chez Bernard de Rennes [1] l’autre fois comme vous me l’aviez dit. La lettre qu’il a répondue à celle que vous lui avez écrite semble indiquer que vous ne vous êtes pas vus la veille. Si cela est, je voudrais savoir où vous avez été ce soir-là et pourquoi vous m’avez fait ce mensonge ? Vous pensez qu’avec un pareil soupçon dans l’esprit je ne suis rien moins que gaie ce matin et que je ne suis pas disposée à vous faire des dessins, tant s’en faut. Je suis plutôt en train de vous crever les yeux et de vous griffer depuis le haut jusqu’au bas. Aussi je suis très maussade et très hargneuse ce matin. Si vous veniez tout de suite, vous en feriez l’expérience au dépend de votre jolie frimousse. En attendant, je passe ma colère sur moi et je me fais le plus de mal que je peux. Cette justice distributive n’est pas très équitable mais c’est la seule à ma portée pour le moment. Si vous voulez je vous la jouerai aux dames contre ce que tu as de plus joli dans la figure et de plus précieux dans ton auguste personne. Je ris jaune et je suis dans une fureur noire, ce qui ne m’empêche pas de voir toutes les couleurs dont vous vous êtes servia pour vous moquer de moi et pour me tromper.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/22
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « servies ».


20 mai [1847], jeudi après-midi, 1 h. ½

Je t’attends, mon Victor, mais je ne suis pas gaie. Je crois que tu m’as trompée l’autre soir au sujet de Bernard et cette pensée est plus que suffisante pour me rendre la vie bien triste et bien maussade. Jusqu’à ce que je t’aie revu et que tu m’aies expliqué d’une manière convaincante que je me trompe, je serai la plus tourmentée et la plus malheureuse des femmes. J’espère que tu vas venir tout à l’heure et je tâche de prendre mon mal en patience jusque là.
Ziegler n’a pas donné son adresse donc tu es dispensé de lui répondre. Peut-être en effet eut-il été bon pour cette malheureuse femme et pour son enfant que tu lui parlesa mais la chose est manquée et il n’est pas probable que le hasard la renoue de longtemps. Je te remercie pour ma part de ta généreuse intention. Mon Victor, je t’aime.
Si j’ai tort de te soupçonner d’une trahison, plains-moi et pardonne-moi car j’en suis la première et la plus cruellement punie. Il est impossible, d’ailleurs, t’aimant comme je t’aime et vivant presque toujours séparée de toi, de me soustraire de temps en temps au sentiment si âcre et si poignant de la jalousie. Je t’aime trop et je ne voudrais pas t’aimer moins, quand même je le pourrais.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/23
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « parle ».

Notes

[1Louis Rose Désiré Bernard, dit Bernard de Rennes, est un homme politique français de la Monarchie de Juillet, né à Brest le 11 mai 1788 et mort à Paris le 9 janvier 1858. Il a été député de 1830 à 1834 et de 1836 à 1848.

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