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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 avril [1847], samedi après-midi, 3 h. ¼

Il est dit que je ne te verrai pas encore aujourd’hui, mon Victor, ou si peu que, loin d’en être heureuse, cela ne me fait paraître ton absence que plus triste et plus irritante. Pauvre bien-aimé, je ne t’accuse pas, je mets tout sur le compte de ton travail, de tes affaires et de ton entourage. Je souffrirais trop si je pouvais supposer que tu m’imposes volontairement cette vie d’attente continuelle. J’aime mieux croire à des impossibilités hors de tes prévisions et plus fortes que ta volonté et ton désir de me voir. Ai-je raison ? Dieu et toi le savez. Quant à moi, cette confiance me sert de courage, de patience et de résignation.
Je viens de copier ta lettre au ministre de la Guerre [1], je crois ne m’être pas trompée, du moins je m’y suis bien appliquée. Cher adoré, si tu pouvais venir ce soir à ce théâtre, tu serais bien bon et je serais bien heureuse. Je sens déjà que je m’y ennuierai si je n’ai pas l’espoir de t’y voir. Tu ne peux pas savoir à quel point tout m’est indifférent, et le plus souvent odieux, sans toi. C’est à ce point que je regrette d’avoir eu cette loge pour ce soir. J’aurais désiré qu’elle fût pour un jour où tu aurais dîné en ville parce qu’alors il n’y aurait pas eu de double emploi tandis que, s’il faut renoncer à te voir un moment pour aller au commencement de La Reine Margot [2], je t’avoue que j’aime mieux n’y pas aller. Je crains seulement que Mme Guérard ne vienne me relancer jusqu’ici pour que je l’y conduise et même qu’elle ne me demande à dîner, ce qui me contrarierait on ne peut pas davantage. C’est pour cela que j’aurais tant désiré que tu vinsses de bonne heure pour que je puisse avoir le temps de te voir et de m’imprégner de toi. Enfin, c’est que tu ne l’auras pas pu et je suis une vieille rabâcheuse. Taisez-vous Juju.
Quel délicieux dessin tu as fait hier au soir, mon Toto. Seulement je me dis que c’est le plus souvent à cela que vous passez votre temps loin de moi et j’en suis triste et grognon. Si j’ai tort, je vous en demande un million de pardons, mais si je ne me trompe pas, vous me devez bien des heures d’indemnités et bien des baisers de dommages-intérêts.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/19
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

Notes

[1Il s’agit alors d’Alexandre Moline de Saint-Yon (du 10 novembre 1845 au 9 mai 1847).

[2Le Théâtre Historique, dirigé par Alexandre Dumas, est inauguré le 20 février 1847 avec sa propre adaptation pour la scène de son roman La Reine Margot.

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