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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 octobre [1849], vendredi matin 7 h.

Bonjour, mon adoré bien aimé, bonjour mon sublime petit homme, bonjour. Je t’écris de mon lit où je suis encore avec un accès de fièvre et de mal de tête assez grand. Cependant, j’espère qu’en me dorlotant un peu ils finiront par se passer, c’est pour cela que je reste dans mon lit toute la matinée. Mais, toi, mon cher petit homme, comment vas-tu depuis que je t’ai quitté ? J’espère qu’il ne te sera rien arrivé que d’heureux. Quant à moi j’ai eu la commotion de l’explosion du gaz de la cité Trévise. Le bruit et la secousse ont été terribles puisqu’ils se sont fait sentir jusque sur notre montagne. Le jeune Pierceau et la mère Laurin [1] qui passaient par là à ce moment disaient que le désastre était immense et que l’usine continuait de brûler malgré le secours des pompiers. Mais tu dois savoir cela depuis hier et dans tous les cas les journaux te le raconteront avant moi sinon MIEUX et avec plus de détails. La seule chose qu’ils ne diront pas c’est l’inquiétude que, par réflexion, j’avais sur toi dans ce moment-là. Je pensais qu’il pouvait t’arriver malheur par des causes correspondantes à cet effroyable catastrophe et j’en étais tourmentée jusque dans le fond de l’âme. Cette pensée m’a poursuivie jusque dans mon sommeil et l’a fort agité au point que j’en suis toute courbaturée ce matin. Hier au soir à 11 h. ½ un cabriolet s’est arrêté à ma porte, dans la persuasion que c’était toi, je me suis jetée en bas de mon lit, j’ai couru ouvrir ma porte et je t’ai attendu dans l’escalier. Mais, hélas ! j’en ai été pour ma fausse joie et mon refroidissement car ce n’était qu’un locataire de la maison. Dans mon désappointement je crois que je l’aurais battu si j’avais été dans un costume moins léger. Je suis revenue piteusement me recoucher en t’aimant plus que mes forces.

Juliette

MVHP, Ms, a8298
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


26 octobre [1849], vendredi matin

Je n’oublie pas que tu m’as promis de venir de bonne heure et de m’emmener à l’atelier de Vilain. Aussi, mon bien aimé, je me mets en mesure d’être prête pour ce moment là afin de ne pas manquer une si belle occasion d’être avec toi quelques instants de plus et plus tôt. Dieu veuille qu’il n’y ait pas d’empêchement de ton côté. Je sais bien que les courts moments de bonheur pendant lesquels je te vois tombent sur mon amour ardent comme les gouttes d’eau sur une plaque de fer rouge mais le temps que cela fait : dechi, dechi, dechi est bien agréable, si non au fer rouge, du moins à ma pauvre âme brûlante. Aussi, je désire le plus de gouttes de bonheur possible pour que ce degré, ou dechi dure très long-temps. Cher petit homme, je vous demanderai un compte sévère de toute votre soirée hier et je serai très difficile à satisfaire. Je vous préviens, tâchez de préparer vos réponses de manière à qu’elles s’accordent avec le vraisemblable sinon avec la vérité. En attendant, je vous aime comme si j’avais la certitude de votre honnêteté et de votre fidélité. Ce que c’est que la confiance pour Toto, pour mon cher petit To. Et mon pot, est-il possible que vous résistiez à ce chef d’œuvre de l’art ? Je ne le crois pas et je suis sûre que le fermoir de votre bourse aristocratique s’ouvrira de lui-même en voyant ce miracle de pot aux roses.

Juliette

MVHP, Ms, a8299
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


26 octobre [1849], vendredi soir, 8 h.

Je ne désespère pas encore de te voir ce soir, mon adoré bien-aimé, tant mon désir est tenace. Je pense que tu seras rentré pendant la grande pluie et peut-être en compagnie de quelqu’un des tiens, ce qui t’aura empêché de venir avant ton dîner ? Mais tu es si bon que je suis sûre que tu feras tout ton possible pour m’apporter tout à l’heure ma petite ration de bonheur sans laquelle ma nuit n’est qu’un long cauchemara. J’y compte, mon adoré, et je me dépêche de te gribouiller ces quelques lignes avant ton arrivée pour avoir le plaisir de te les donner comme une preuve de ma confiance et de mon amour. Mon Victor bien aimé, si tu pouvais savoir ce que ces petites pattes de mouches cagneuses, boiteuses et difformes cachent d’amour bien fait, droit et charmant, loin de les mépriser et d’en détourner les yeux tu les baiserais avec des transports de volupté et d’enivrement. Mais pour cela il faudrait les regarder, non sur ce papier où elles courent d’une manière si bête et disgracieuseb, mais dans mon cœur où elles s’alignent si bien que ton divin génie lui-même ne trouverait rien à reprendre. J’ai voulu poursuivre jusqu’au bout cette figure chorégraphique, mais je vois que le style ballet ne m’est pas plus avantageux que le style Juju, aussi je me dépêche d’y revenir et de te dire tout crûment que je t’adore avec rage.

BnF, Mss, NAF 16367, f. 281-282
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « cauchemards ».
b) « bêtes et disgracieuses ».

Notes

[1À identifier.

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