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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 septembre [1849], samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit taquin, bonjour, mais si vous persistez dans vos caresses perfides, je vous embrocherai comme un poulet. Je garde mes armes et j’y veille. Méfiez-vous, qui s’y frotte s’y pique, etc., etc. Je continue de vous écrire sur des vieux arlequins, des papiers plus salesa les uns que les autres. Quand vous voudrez que je change de système vous n’aurez qu’à me donner du papier neuf. Quant à moi, cela ne me choque pas et je trouve que tout est bien, même les pataquès, même les stupidités, même les inepties. Tout cela dépend de l’à-propos. Il est bon, vous le grand poète, que vous soyez rappelé de temps en temps aux vulgaires réalités de ce monde et à l’ignorance primitive d’une Juju des anciens temps. Cela ne peut que vous ravigoter un peu le goût et vous faire trouver plus de charme, s’il est possible, au style parfumé et fleuri des olympes ÉDUQUÉES [1]. Dites donc, vous me devez 13x 6sous sans les [cot  ?] de la mère Sauvageot, ceci n’a pas besoin de fleurs de rhétorique pour être compris. Tâchez de me les rendre aujourd’hui même, sinon, je serai forcée de mettre les dents de Suzanne au [troc ?] et, ce qui est pire, les miennes. Déjà aujourd’hui, j’ai mis à contribution le reste de sa bourse, mais cela ne suffit pas à tous mes besoins. Taisez-vous et payez vos dettes de toute NATURE.

Juliette

MVHP, Ms a8281
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « sâles »


29 septembre [1849], samedi matin, 9 h.

Je ne sais pas pourquoi je ne t’accompagne pas à ton rendez-vous ? Il me semble que c’est pour aller au ministère. Il n’y aurait aucun inconvénient à ce que je t’accompagNASSE ? Par ce moyen, je t’aurais vu une fois de plus et ceci m’intéresse assez pour que j’insiste et pour que je demande des éclaircissements sur les empêchements qui s’opposent à cette pauvre petite satisfaction innocente. Quant à ce qui serait d’attendre trop longtemps chez la mère Sauvageot, j’aurais pu employer mon temps autrement et aller faire plusieurs commissions dont j’ai besoin. Du reste, ce que je te dis maintenant ne peut pas me servir pour aujourd’hui puisque je ne te verrai que ce soir, mais je te prie d’en prendre note pour la prochaine occasion et de ne pas me priver sans un motif sérieux du bonheur d’être avec toi chaque fois que tu sors. Voici l’ouverture de la chambre où ces moments précieux vont devenir encore plus rares et plus courts : et [pourvu  ?] que tu mettes de l’indifférence et de la négligence à me donner ceux dont tu peux disposer, chemin faisant, il n’y a pas de raison pour que nous [ne] nous voyons jamais. Je rabâche un peu, mon cher petit homme, par nature et encore plus par excès d’amour. Je ne t’en demande pas pardon parce que c’est toujours à recommencer une fois que le plus en est pris. D’ailleurs, vous devez y être habitué depuis le temps, d’autant plus que c’est votre faute, votre très grande faute, votre immense faute. Baisez-moi honnêtement comme il convient au représentant de 117 mille hommes, sinon je vous larde à tort et à travers. J’ai été trop longtemps une Juju débonnaire et soumise. Maintenant, je m’insurge et je deviens féroce. Vive la république démocratique et sociale ! À bas les aristos et les réac ! Vive les partageux, les gueux et les rogneux, à bas Toto, vive Juju.

MVHP, Ms a8282
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux


29 septembre [1849], samedi soir, 8 h.

Je t’ai quitté à regret, mon beaucoup trop bien-aimé, et il s’en est pas fallu que je ne me misse à pleurer devant tout le monde sur le boulevard. Ce n’est qu’à force de contractions douloureuses du cœur que je suis parvenue à garder mes yeux secs jusque chez moi. Cependant, tu as été bien bon pour moi aujourd’hui, mais j’aurais désiré encore davantage puisque je suis rentrée à la maison presque désespérée. Dans tous les cas, je ne veux pas t’être à charge. Ce que je redoute par-dessus tout c’est de peser sur ta vie comme un devoir, c’est-à-dire comme une femme qu’on n’aime plus. Il y a des moments où il me semble que c’est ainsi et où il me prend envie de fuir sans regarder derrière moi. Je suis dans un de ces moments. Ce matin, j’étais la plus heureuse et je me croyais la plus aimée des femmes. Ce soir, je ne sais plus ce que sont devenus mon bonheur et mes illusions. Je ne sais pas lequel de nous deux aa lâché la corde de ce beau cerf-volant d’amour qui se jouait dans mon ciel, mais toujours est-il que je l’ai perdu de vue et que je ne sais pas où il est tombé. À l’heure qu’il est, je suis aussi triste et aussi malheureuse que le pauvre petit garçon de Montmartre qui pleurait la perte de son cerf-volant. Mais je te dis là des choses, des folies qui doivent te paraître bien ridicules. Je ferais bien mieux de me coucher sans rien dire et de laisser passer la main sur ce petit chagrin incompris. Demain matin, je serai plus raisonnable et tu ne t’en serais pas aperçu. Bonsoir, mon bien-aimé, si tu ne peux pas revenir ce soir, bonsoir, sois béni en tout et partout. Je t’adore.

Juliette

MVHP, Ms a8283
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « à »

Notes

[1C’est vraisemblablement Olympe Pélissier qui est visée.

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